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Rushdie héros d’hier, d’aujourd’hui et de demain

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Lorsque l’on évoque Salman Rushdie dans une conversation avec son entourage, une question revient irrémédiablement : “l’avez-vous lu ?” Évidemment, répondre par l’affirmative vous donne un certain crédit. Il est toujours plus constructif de savoir de quoi on parle lorsque l’on aborde l’œuvre d’un écrivain. Mais, chose étonnante, il ne nous viendrait pas à l’esprit de critiquer celui ou celle qui, tout en débattant, reconnaîtrait ne jamais avoir ouvert l’un de ses livres. Pour la bonne et simple raison qu’on ne peut réduire Rushdie à son statut d’écrivain.

Son destin en a fait un symbole, une icône de la résistance à l’obscurantisme. Ce qui compte, ce n’est pas d’avoir lu ou non Rushdie, c’est de connaître son histoire. Celle d’un homme libre, condamné à mort au nom d’une religion par des intégristes pour qui l’expression de la liberté, justement, est un sacrilège. Un homme qui, avec son imagination et son talent, interroge le monde. Un homme qui, malgré la menace qui pèse sur lui depuis plus de trente ans, a décidé de vivre et pas juste de survivre. Un romancier qui parle de l’écriture comme d’un acte défiant la mort.

Cette semaine, six mois après l’agression qui a failli lui coûter la vie dans une attaque au couteau lors d’une conférence aux États-Unis, l’auteur des “Versets sataniques” s’est confié dans un entretien accordé au magazine “The New Yorker” pour la sortie de son nouveau roman, “Victory city”. Un événement en soi, bien entendu. Après l’avoir parcouru, l’unique question que j’ai eu envie de poser à mon entourage n’était pas “l’avez-vous lu ?“, mais “l’avez-vous vu ?”

Vu quoi ? Le portrait de l’écrivain qui illustre l’entretien. Car cette photo est un chef d’œuvre. Elle en dit bien plus que des mots. “The New Yorker” aurait pu l’afficher sur sa une, on se la serait arrachée. Ce portrait saisissant révèle Rushdie tel qu’il est. Blessé mais vivant. Amoindri physiquement (son agression lui a coûté son œil droit) mais renforcé intellectuellement.

Son regard est toujours vif, disponible pour éclairer le monde. Son sourire, malicieux, est à la fois sécurisant et un formidable bras d’honneur adressé à ceux qui souhaitent le faire disparaître. Salman Rushdie a toujours eu une écriture et une voix puissantes.

Désormais, il a un visage puissant. Le visage d’un immortel. Dans son livre “Haroun et la mer des histoires”, Rushdie imagine un homme dont le rôle est de raconter des contes pour permettre aux gens de mieux se mouvoir dans la complexité du monde. Il a écrit ce livre pour son fils peu après la fatwa qui le vise. Comme une forme de plaidoyer pour l’imagination. De plaidoyer pour le pouvoir des contes. Aujourd’hui, pour parler à nos enfants, nous avons aussi l’histoire de Salman Rushdie lui-même. Conte d’aujourd’hui. Conte pour demain. Un conte où sont condensés la sagesse humaine, l’envie d’apprendre et de rire. L’existence de cette histoire et du nouveau livre de Rushdie constituent un éclat de rire triomphal dans le monde des ténèbres sataniques. L’espièglerie du regard de l’auteur sur cette photo le démontre.
Dans son interview, Rushdie explique qu’au-delà des blessures corporelles, son agression lui a laissé également des cicatrices mentales, évoquant un syndrome de stress post-traumatique. “J’ai trouvé ça très, très difficile d’écrire. Je m’assieds pour écrire, et rien ne se passe”, explique-t-il.

Qu’il se rassure, de mon côté, en m’asseyant pour lire son entretien, et en découvrant son portait, il s’est passé bien des choses.  J’ai ressenti un choc, une émotion. La sensation de me trouver face au visage d’un homme qui ne fait pas qu’écrire des histoires, mais qui écrit l’Histoire. Un héros en somme.

Bon dimanche,

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