“Rien n’est plus monotone que la vie et rien n’est plus curieux de voir comment par une sorte de paradoxe de la langue, nous disons qu’un roman, qu’une pièce est vivante quand elle se dérobe à ces conditions d’humanité. Qu’est-ce que la vie ? Au fond, un cycle d’opérations qui se répètent : respiration, circulation, nutrition. Ce sont des cycles et des cycles avec une monotonie qui assure la conservation. Au contraire, l’esprit est en éruption à chaque instant, et si sa mémoire le sert, cependant il y a toujours chez lui une sorte de variation perpétuelle qui est liée à la variation perpétuelle du milieu. De ses propres associations et des propres incidents il crée à chaque instant de nouveaux sujets d’intérêts pour lui. Prenez la vie intellectuelle la plus élevée. De quoi est-elle faite ? D’accidents. Une œuvre a toujours pour origine un accident. C’est une idée qui passe. Bien, elle m’intéresse, elle m’ouvre une perspective. Qu’est-ce que je pourrais faire là-dedans ? Ceci me conviendrait et conviendrait à telle intention, à tel but extérieur ou intérieur que j’ai, je vais la poursuivre, oui mais. Toute une série d’accrochages se font et souvent une œuvre qui paraît être le résultat d’un plan prémédité est en réalité quand on la regarde aux microscope une œuvre très accidentelle.”
Il faut relire plusieurs fois ces mots de Paul Valéry dans son “cours de poétique” (Gallimard) qui vinrent jusqu’à nous à l’orée de cette nouvelle année. Ils trottent ensuite dans la tête. Y créent des mouvement et peuvent peut être constituer un guide ou du moins un viatique alors que 2023 démarre. Pour au moins trois raisons. D’abord le cycle de la vie. Celui de la répétition. Celui de cette nouvelle année qui débute et où chacun et chacune est tenté de prendre des bonnes résolutions, de se lancer des défis ou tout simplement décider de se plonger dans le présent avec une furieuse envie de vivre. Quoi qu’il en soit, ce cycle annuel invite à l’interrogation et il suscite donc l’esprit.
Esprit dont Valéry nous dit qu’il est en éruption à chaque instant et que de ses éruptions peuvent naître des œuvres. C’est dans cette interstice que “l’accident” crée l’art. Intéressante approche. De nos chemins de pensées, l’art peut émerger. Ou plutôt devrions-nous écrire l’art émerge d’accidents de nos idées. N’ayons donc pas peur, en artistes de nos vies, de faire confiance aux éruptions de notre esprit. Elles peuvent être très fécondes.
Enfin, le troisième outil que suggère en creux Paul Valéry c’est une forme d’acceptation, pour les artistes comme pour les autres, du hasard joyeux, de l’inattendu comme créateur de la beauté future, de l’addition que l’on n’attendait pas mais qui nous transporte. Car, c’est bel et bien aussi de cela dont il s’agit dans ces mots du poète. Soyez attentifs aux éruptions de votre esprit, aux chemins vers lesquels elles vous mènent et surtout dites-vous que si elles peuvent engendrer l’art, elles peuvent aussi dessiner une vie plus belle encore.
Enfin, ce qui est contenu dans ces mots, c’est la fameuse sérendipité qui consiste à faire une découverte inattendue et à en saisir l’utilité. Cela parce que, justement, l’esprit est fertile et que l’on y fait attention. Comme dans une forme de hasard préparé.
Chers Ernestiens, Chères Ernestiennes, au moment de vous souhaiter une bonne année 2023 quoi de plus fort que cela finalement ? De vous souhaiter des inattendus joyeux qui vous transformeront (livres, films, situations, baisers), de vous dire combien le présent nous attend, de nous engager à chercher nos chemins de liberté dans les éruptions de la pensée.
Éruptions intellectuelles, joueuses et réjouissantes qui étaient au cœur de ce qui animait d’ailleurs les camarades de Charlie Hebdo, assassinés le 7 janvier 2015, il y a huit ans, et dont l’esprit subsiste ici et ailleurs. Par nos audaces. Par nos libertés et par notre capacité à créer. Que cette année soit une éruption permanente de nos esprits.
Bon dimanche éruptif chers amis.
Tous nos éditos sont là.
