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L’ennui allegro

Mike Castro Demaria EGmIA1 VxMc Unsplash

Dans une symphonie, l’allegro désigne le mouvement vif et gai. Ce mouvement plein d’entrain qui emporte. Ce mouvement plein d’entrain et de spontanéité qui donne envie de danser, de rire, de jouer, de regarder ce bel homme qui passe ou d’inviter à boire un verre cette femme si séduisante. Ce mouvement allegro, dans la musique comme dans la vie, est ce qui fait le sel des choses, qui relance une soirée mal embarquée, qui donne un supplément d’âme à une réunion soporifique, et qui surtout, surtout nous rappelle à quel point nos vies ont besoin de ces instants suspendus pour rester habitables. Ce mouvement allegro, c’est comme une forme d’insouciance. Ce moment où la symphonie, le cœur, l’envie, l’attirance, le rire, les larmes de joies s’emballent. “L’insouciance est le seul sentiment dont il faut prendre soin parce qu’il ne possède pas d’argument pour se défendre”, écrit Sagan dans “Bonjour Tristesse”. Comme pour nous inviter à chérir l’allegro de nos vies.

Ceci dit vous pourriez rétorquer que l”allegro” c’est aussi ce qui caractérise le rythme effréné de nos existences. Cette intensité qui nous plait mais qui nous assaille en permanence. Qui nous fait sacrifier l’essentiel à l’urgence et oublier l’urgence de l’essentiel. Vous n’auriez pas complètement tort. A ceci près que dans l’allegro de nos vies, ce qui manque (parfois) est l’élan gai de la musique ou de l’allegro tel que nous l’entendons ce matin, c’est-à-dire comme un surgissement de vie, une fringale de vie, un absolu à être, un bel inattendu qui s’additionne au reste…Juste dans le beau.
Vous vous dites sûrement alors qu’il vous reste une semaine de travail avant la coupure que nous en sommes loin et que pour cela il faut de l’énergie et de l’envie. Vous avez raison. Je vois vos têtes mal réveillées, les amis. Je sais que vous vous demandez où je veux en venir. Nous y sommes. Patience…
Ce que nous vous proposons, pour cet été, c’est de retrouver la force de l’ennui pour retrouver l’allegro du désir. Ce que nous vous proposons, modestement, c’est de ralentir le rythme, de s’autoriser à ne rien faire, et de cultiver l’ennui. Pour le féconder ensuite allègrement. En écrivant, en riant, en jouant, en faisant l’amour, en écoutant simplement le chant des grillons et en retrouvant, finalement, la capacité à mettre en branle votre amour de l’allegro comme mouvement gai et vif qui fait s’emballer la musique.

Après une année encore si particulière, la tentation est grande de ce dire que la symphonie sera toujours moderato et que l’on ne vivra plus vraiment intensément.  Mais heureusement il est temps de revenir à Clément Rosset. “Les raisons d’exécrer la réalité ou de l’adorer sont les mêmes : nous ne savons pas qui nous sommes, ni d’où nous venons ; nous sommes confrontés à un réel souvent déplaisant ou injuste ; chaque sensation est fugace et nous sommes promis au trépas. À partir de ce constat, vous pouvez sombrer dans l’accablement le plus profond ou, au contraire, vous réjouir de chaque instant qui passe. La grande différence entre l’homme dépressif et joyeux me semble d’ailleurs résider dans l’appétit de vivre, ce qui peut se ramener à un mot : le désir.” 

Il est temps, aussi, de se dire que même si on a l’impression que le sens des choses se dérobe comme de l’eau dans la main, la joie peut être liquide. Elle peut même être aérienne comme un allegro, d’ailleurs. Il est temps aussi de se dire que l’ennui que nous cultiverons cet été sera la source de sensations invincibles faites d’allegro que nous vivrons cet hiver. « Nous ne savons plus féconder l’ennui. Notre nature a horreur du vide, – ce vide sur lequel les esprits de jadis savaient peindre les images de leurs idéaux, et leurs Idées » écrivait Paul Valéry.  Peignons des idéaux, des idées pleines d’entrain durant l’ennui estival les amis. L’année électorale à venir ne s’en portera que mieux !

Bon dimanche, bel été, belles lectures et bel ennui plein d’allégresse,

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