3 min

Mattéo, mon ami, mon frère

Capture D’écran 2022 11 10 à 11.36.39

Le sixième et dernier tome de la fresque éblouissante de Jean-Pierre Gibrat clôt la destinée d’un homme dont le chemin personnel est sans cesse rattrapé par la grande Histoire, de la guerre de 14 à la Seconde Guerre mondiale, en passant par la révolution russe, le Front Populaire et la guerre d’Espagne. Mattéo est un personnage inoubliable, un compagnon auquel on se résout difficilement à dire au revoir.

Je dois vous faire une confidence. Cet été, pendant mes vacances en Occitanie, j’ai convaincu femme et enfants de faire un détour par Collioure. Ne croyez pas que j’ai cédé aux sirènes de la côte Vermeille pour assouvir une soudaine envie de me frotter au flot de touristes qui envahissent les ruelles de la capitale de l’anchois. Ma motivation était purement égoïste. Ce que je voulais, c’était marcher sur les pas de Mattéo, le héros de la sublime épopée imaginée par Jean-Pierre Gibrat, et découvrir de visu les décors de ses aventures. Car c’est à Collioure que tout commence pour ce fils d’anarchiste espagnol exilé sur la côte catalane française, étranger tout juste toléré par les villageois, rebelle par filiation davantage que par vocation, amoureux transi de la belle Juliette, pour les yeux de laquelle il ira se jeter dans l’enfer des tranchées en 14 pour en revenir amoché, aigri, et finalement déserteur.

Capture D’écran 2022 11 10 à 20.43.15J’ai rencontré Mattéo il y a douze ans alors qu’il partait faire la révolution à Petrograd, l’actuelle Saint-Pétersbourg en Russie, dans le tome 2. « Là-bas, la pauvreté, la guerre étaient à bonne température, en fusion pour fabriquer du neuf, ça risquait de foutre le feu à la planète, ou nous péter à la gueule ! Qu’est-ce qu’on avait à perdre ? ». Pas mal d’illusions en définitive. Le cœur rempli d’idéaux, il se mêle avec entrain à ce qu’il croit être un mouvement fraternel et découvre le chaos causé par les rivalités entre rouges et noirs, bolchéviks, socialistes-révolutionnaires et anars.  « Au moment de risquer sa peau, on se demande si c’est une bonne idée d’avoir des idées… On se dit finalement, la révolution, c’est la guerre avec des prétentions d’idées… Pas plus ». Il ressort de l’aventure écœuré et perdu. Rattrapé par son statut de déserteur, Mattéo est finalement envoyé au bagne pour vingt ans. De cet enfermement, Gibrat ne nous dit rien et nous impose un silence douloureux durant lequel j’ai craint de perdre un compagnon que j’étais prêt à suivre au bout du monde…

Tous les chemins mènent à Collioure