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Les boîtes aux lettres, nos nouvelles ZAD des vacances

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Comme toujours, Jérémie Peltier met le doigt sur un phénomène que nous n’avions pas forcément vu venir. La disparition des boites aux lettres. Ces objets qui nous permettaient pourtant de nous dire tant de choses durant l’été, mais pas que. Et si elles étaient des ZAD (Zones à défendre ) ?  Et vous, à qui allez-vous écrire cet été ?

Un nouveau scandale naît dans le pays, mais ça nous en touche une sans faire bouger l’autre comme dirait notre Président de la Blague Publique, et c’est bien regrettable je tiens à le dire car je suis un homme libre qui a le droit de s’exprimer car c’est ça la France que ça vous plaise ou non.

Alors j’entends, il y a dans l’actualité des choses très graves en ce moment comme les incendies dans nos forêts causés par les Consderniers demeurés qui n’ont toujours pas compris qu’il ne fallait pas jeter les mégots de cigarette par terre (qui n’ont toujours pas compris non plus qu’il fallait arrêter de fumer). D’ailleurs, petit aparté sur ça : j’aimerais bien rencontrer ces gens, savoir d’où ils viennent, où ils vivent, quels sont leurs réseaux. Car c’est toujours fascinant de voir que certains individus ont été épargnés par les communications régulières du type « Attention l’été, ne jetez pas vos mégots par terre », message somme toute assez simple que même les plus débiles de nos compatriotes sont, à priori je dis bien à priori en capacité de comprendre.

Ils sont finalement un peu comme ces types que vous allez devoir supporter durant vos vacances dans les trains et qui n’ont toujours pas eu l’information que téléphoner en dehors des plateformes, c’est mal. D’ailleurs, si ça se trouve, les pyromanes et les emmerdeurs de train sont les mêmes individus. Pour le savoir, il faudrait faire une enquête sur tous ces gens pour les repérer et les juger durement sur des places publiques en permettant à tout le monde de suivre leurs procès en direct sur tik-tok (fin de l’aparté). Message de santé publique France au passage : pour vous prémunir de cela et prévenir avant de guérir, pensez à vous procurer le petit Que faire des cons ? de Maxime Rovere [1], vous ne perdrez pas votre temps et ça va créer une petite ambiance chaleureuse avec votre voisin de siège.

Les boites aux lettres vandalisées…

Rtisanyb GVd3B3SfP4I UnsplashRevenons-en à nos moutons (qui doivent avoir chaud en ce moment eux-aussi). Derrière les forêts incendiées se cache quelque chose de grave dont tout le monde se fout et dont personne ne parle car tout le monde est bête : en effet, comme le conterait Père Castor, dans certaines contrées de ce pays, notamment les plus malfamées d’entre-elles (exemple : Paris), les individus respectables qui se lèvent tôt et savent encore ce qu’est le sens de l’effort ont constaté avec effroi et tristesse depuis plusieurs semaines que certaines boîtes aux lettres de La Poste qui égayent nos rues de couleur jaune-pipi étaient condamnées car elles risquaient d’être vandalisées par des malotrus [2].

Alors que vous êtes-là debout avec votre enveloppe timbrée contenant un chèque de 23 euros à destination de votre association animaliste préférée, un peu comme un con comme qui dirait, alors que vous vous apprêtez à insérer l’enveloppe dans la fente « Autres départements » en jetant un œil au tag « La vie la p…comme ta mère » (qui peut-être un jour sera considéré comme un chef d’œuvre selon les critères de l’art contemporain), vous lisez ce petit panneau très sérieux qui vous freine soudainement dans votre élan : « Cette boîte aux lettres est fermée pour des motifs de sécurité »[3].

Plaît-il ? Le crime est partout, et mêmes les boîtes aux lettres, pourtant inoffensives bien qu’étant devenues le mur d’expression de jeunes grapheurs qui ont la haine, ne sont pas épargnées dans ce monde violent.

Mais où est le crime ? De quoi parle-t-on ? Depuis décembre 2021, La Poste dit subir des effractions parmi ses quelque 1 611 points de dépôt parisiens, dont 1 300 boîtes de rue. Une centaine de boîtes aux lettres jaunes ont été forcées depuis décembre par des gens qu’on imagine mal attentionnés cherchant argent, papiers, rubis et des coffrets pleins d’or comme Ali Baba dans sa caverne.

… Mais les boîtes aux lettres libérées ?

LiaisonsDonc voilà, c’est la crise des boîtes aux lettres et vous êtes désormais au courant. Et avec la crise, le risque est grand que La Poste nous supprime toutes nos boîtes comme les banques le feront bientôt avec les agences bancaires pourtant bien utiles pour sponsoriser les tournois de foot en fin d’année mais bon c’est comme ça c’est le sens de la vie. Cela dit, on ne va pas se mentir, même avant cela, le courrier était déjà mal en point (la branche courrier ne représente plus que 18 % des activités globales du groupe, compris ?). Enfin bon, pour envoyer des trucs administratifs chiants ou recevoir des pubs à la con ou des offres Darty, ça il y a du monde je suis d’accord. Mais pour envoyer des mots d’amour, des mots doux et des lettres pour raconter nos vies, plus personne. Fin. Rideau. C’est I-Phone et tartanpion, Instabook et les rézocassociaux. Le reste au feu pour les jeunes cons. Les lettres sont mortes.

Pourtant, les échanges épistolaires ne sont-ils pas merveilleux pour dire des choses de façon plus élégante ? Ne sont-ils pas ce que l’on a fait de mieux pour dire sans dire, faire comprendre sans trop dévoiler, être lâche sans trop l’être ?

Dans Les Liaisons Dangereuses, chef d’œuvre de Laclos qu’on ne présente plus (même s’il faut arrêter de dire « qu’on ne présente plus » car à force on ne présente plus rien et donc on ne  comprend plus rien), on trouve en permanence cela. Deux exemples :

Madame de Tourvel, au dragueur de Valmont :

« La vie que je mène ici est réellement fatigante par l’excès de son repos et son insipide uniformité », ce qui signifie « Je me fais chier, prends-moi vite ».

Valmont, à la pieuse Madame de Tourvel :

 « On s’ennuie de tout, mon Ange, c’est une loi de la nature ; ce n’est pas ma faute.

Si donc je m’ennuie aujourd’hui d’une aventure qui m’a occupé entièrement depuis quatre mortels mois, ce n’est pas ma faute.

Si, par exemple, j’ai eu juste autant d’amour que toi de vertu, et c’est sûrement beaucoup dire, il n’est pas étonnant que l’un ait fini en même temps que l’autre. Ce n’est pas ma faute.

Il suit de là, que depuis quelques temps je t’ai trompée : mais aussi, ton impitoyable tendresse m’y forçait en quelque sorte ! Ce n’est pas ma faute.

Aujourd’hui, une femme que j’aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n’est pas ma faute ».

Ce qui signifie : « tu m’as fatigué, j’ai pécho quelqu’un d’autre ».

Alors évidemment, à l’époque où des gamins en veulent à Sylvie Germain car ils sont incapables de comprendre le sens d’un passage de son roman Jours de colère durant les épreuves du BAC au rabais, tout ça demande un effort [4]. Mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ? Voilà une bonne façon de passer des années molles aux années folles. Le retour des années folles, c’est le retour des lettres enflammées, des lettres que l’on reçoit au bout d’une semaine, sans avoir de nouvelles entre les deux. Des lettres dont l’attente nous fait peur. Le retour des lettres, c’est par ailleurs l’assurance qu’on vous laisse tranquilles sans vous harceler de messages toutes les cinq minutes pour savoir si vous avez bien reçu le message qui vous demandait déjà si vous aviez bien reçu le mail.

Il faut donc sauver les boîtes aux lettres pour réenchanter le monde. D’abord en montrant leur utilité tout au long des vacances en faisant l’effort d’envoyer des cartes postales de filles court-vêtu de vos vacances à Biarritz en mentionnant bien « qu’ici il fait chaud mais heureusement on a un ventilateur » au cas où personne ne serait au courant. Mais surtout, il faut protéger nos boîtes des brigands, des punks à chiens et des scélérats qui veulent les ouvrir pour récupérer le pognon et lire notre prose enflammée !

Zadistes de tous les pays, de toutes les villes et de toutes les patries, quittez l’Assemblée nationale et unissez-vous pour défendre nos boîtes aux lettres et faire en sorte de retrouver un sens épistolaire dans nos vies. La patrie vous en sera reconnaissante. Et le vendeur de cartes au bar-tabac de la rue de la Gare aussi.

[1]Que faire des cons ?

[2] Des boites aux lettres vandalisées, Le Parisien 

[3] De moins en moins de BAL 

[4]  Sylvie Germain, victime d’une cabale sur les réseaux sociaux.

Toutes les chroniques d’arrêt d’urgence de Jérémie Peltier sont là.

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