Ce mois-ci, Virginie Bégaudeau a déniché trois pépites érotiques rien que pour vous. Où Eluard est magnifié par l’érotisme, où le militantisme est sensuel et où la liberté rend fou. Préparez-vous à un doux voyage, poétique et sensuel.
Bagarres érotiques – Klou
« Je suis une travailleuse du sexe de 24 ans- une pute, quoi. Vendre une prestation sexuelle n’est pour moi ni dégradant ni traumatisant. Etre pute, moi, ça me plaît, et ce qui me choque, c’est que ça choque. »
Dans « Bagarres Erotiques », Klou pose le décor au travers ses mots et ses illustrations. Prêchant pour une acceptation de son métier du sexe, l’auteure se positionne dans un rôle de militante. On veut du cul, on veut le vendre et on veut que ce soit OK. En découvrant le nouveau titre de la collection Sex Appeal chez Anne Carrière, j’ignorais à quel point il serait bouleversant et ferait tant écho à notre condition.
Sensualité militante
Excitation quant à l’idée, mise en scène du fantasme de la putain que j’ai toujours gardé intact, tout y est dans « Bagarres érotiques », et plus encore. Ça m’a secouée, ça m’a rappelé aussi l’appel du corps depuis la nuit des temps et sa possession par les autres. Pourquoi ne pourrait-on pas être libre de se prostituer ? Le patriarcat ? Une réelle volonté de protection contre le proxénétisme ?
Cru, politique, terriblement fort, le texte de Klou a remis en perspective la bien-pensance et l’intime. Toutes les classes sociales sont concernées, je ne l’apprends pas, mais c’est la parole qui est taboue. Grande absente du débat sur le « plus vieux métier du monde ». Exister dans le regard masculin, c’est le paradoxe de ces putains heureuses.
J’avoue que l’ouvrage n’est pas érotique au sens où il n’est pas masturbatoire. C’est une autre façon d’accaparer la sensualité, la pornographie en somme, car celle-ci est une réalité : la nôtre.
Payer pour jouir, être payée pour faire jouir, être libre de jouir et de faire jouir.
Un crédo à clamer aujourd’hui plus que jamais.
Valentina, intégrale vol.1, Crépax
Guido Crepax, le maître absolu, l’inventeur de l’érotisme cérébral, revient dans une intégrale. Et je n’ai pas hésité à me replonger dans Valentina, cette œuvre magistrale qui m’a tant excitée, en m’autorisant une jouissance nouvelle. D’une élégance rare, le personnage de Valentina m’a permis de saisir toute la richesse de son univers vintage et pourtant si proche de moi.
J’ai une affection toute particulière pour cette gracieuse héroïne milanaise, passionnée de photographie qui exerce ce métier en toute indépendance. Je m’identifie à sa soif de liberté et sa créativité. Mais pas seulement. Je l’accompagne lors de ses pérégrinations et rencontre Neutron, ce curieux critique d’art américain et criminologue. Amants amoureux et volcaniques ce duo emblématique m’a conquise et tant inspirée.
L’orgasme guette sans cesse
Fantasque, sensuelle, libérée, Valentina est de ces femmes de fiction qui marquent un public intellectuel et raffiné, bien loin des clichés populaires de femmes objets plantureuses. Malgré tout, elle dit « oui » où ses contemporaines auraient dit non. Je déguste cette débauche au creux de ses traits incroyablement précis et emplis de luxure. Je ne m’en cache pas, j’ai adoré cette vision de Crepax sur l’omniprésence de la raison sans jamais évincer le corps. D’autant que lorsque je rencontre Valentina, à l’aube de ses vingt ans, j’ignore que je pourrais la suivre jusqu’à l’âge mûr des femmes que l’on n’écrit plus. Cette héroïne incomparable qui s’est attirée les obscénités de toute une génération est humaine : elle vieillit sans perdre son érotisme. Au contraire, il est magnifié.
L’intégrale de Valentina est pour moi une mine de plaisir où l’orgasme renaît, où il n’est plus uniquement le but ultime. Je suis en quête de Valentina, le reste n’est que pour la sublimer. Lubrique, toujours, mais soulevée par l’orgasme qui m’a guetté sans cesse.
Peau Aime – Collectif
Deux thèmes : l’intime et l’inaccessible. Deux thèmes fantasmés par un incroyable collectif d’artistes qui m’ont offert leur désir, leur sensibilité et un moment incroyablement érotique.
En ouvrant ce livre à la couverture aussi vintage que tendance qui semble capturer l’instant d’avant, juste celui avant l’acte. Je me suis sentie bouleversée par cette illustration, sublime, où les corps se découvrent, que les caresses s’invitent sans s’autoriser réellement. Une porte entrouverte qui m’a invitée à entrer. Je me suis donc laissée porter sans imaginer la puissance qui allait découler de tous ces talents.
Une trace sensuelle indélébile
Une prouesse rendue possible par Inès, la Culotte cosmique et le fanzine « Peau Aime » pour donner une réponse au poème aussi sobre que vertigineux de Paul Eluard, « J’espère ce qui m’est interdit ».
L’union des talents qui me transporte depuis mon lit où je m’apprête à dévorer chaque mot particulièrement charnel, est mirifique. Loin de la pornographie qui s’est démocratisée et que j’apprécie souvent, la force de Peau Aime est justement cet érotisme voilé, cette séduction un peu oubliée des prémices et des non-dits. C’est même d’autant plus excitant de revenir à l’essentiel et à la pudeur dans l’intime. Je me suis contenue, je me suis conduite comme cette invitée timide qui accède à la communion la plus absolue.
Peau Aime est l’une de ces œuvres dont je porte la trace des semaines plus tard, pleine d’envie de le faire découvrir, d’offrir, à mon tour, cette parenthèse de qualité, étourdie d’un plaisir insatiable. Il y a un honneur fait à Éluard au travers les créations puissantes, voraces et luxurieuses de ces 50 artistes mondiaux.