5 min

Les coulisses du plaisir

Pablo Heimplatz 252c3DVk6gk Unsplash

Ce mois-ci, dans son “Petit Cochon”, Virginie Bégaudeau nous emmène dans les coulisses du plaisir. Laissez-vous guider. Avec en prime un entretien exclusif avec celle que l’on appelait Katsuni : Céline Tran.

Ne dis pas que tu aimes ça – Céline Tran

Ne Dis Pas Que Tu Aimes CaStar mondiale du X. Femme de lettres. Passionnée. Engagée. Il y a beaucoup de termes sur lesquels j’aurais pu digresser en parlant de Céline Tran, anciennement connu sous le nom de Katsuni.

En découvrant la nouvelle version augmentée de son livre « Ne dis pas que tu aimes ça », j’étais prête à me plonger dans ce monde fantasmé du porno sur écran, à me demander comment on tombe dans le X et comment on s’en sort. D’ailleurs, s’en sort-on réellement ?

Un témoignage qui démonte les mythes et les discours victimaires où se mêlent sexe pur et fantasme désir absolu. J’ai été conquise par cette évidence, cette certitude que Céline Tran a retranscrit sans heurts.

Autobiographie orgasmique

Je me suis laissé tenter, à mon tour, par le parcours atypique de la jeune femme qui aurait pu faire Sciences Po et mener une vie parfaitement rangée. Elle a choisi avec conviction le plaisir, le stupre et les caméras. Elle a choisit la jouissance sans la subir. Un acte de révolte, en somme. Un acte de féminité d’exception.

Bien que masturbatoire, ce roman autobiographique est une mise en perspective de l’idéologie conservatrice. Au travers ses frasques insoupçonnées, l’auteure a réussi à m’emporter avec elle dans les méandres des plus prestigieux plateaux du X, aux côtés de partenaires prestigieusement sulfureux et obsédés par une même ligne : le plaisir. Le leur ou le mien, véritablement.

J’avoue ne pas avoir eu envie de quitter la scène de suite, je me suis lancée, pleine d’excitation aux prémices de l’aventure, puis frustrée maintes fois par d’indescriptibles parfois. J’ai pu être une Porn Star le temps de quelques pages, loin des mille clichés, au cœur d’une vérité et d’une détermination à couper le souffle. Orgasmique, donc. Et une réelle réflexion sur le plaisir au féminin dans un univers profondément machiste à destination d’un public d’hommes. Sans pudeur, sans modestie. Une tranche de vie qui m’a presque fait regretter de ne pas le vivre davantage et en direct.

Retrouvez ci-dessous l’interview exclusive de celle que l’on appelait Katsuni.

Judith & Holopherne – Riverstone

517K3C19BRL. SX350 BO1,204,203,200 Riverstone, ce sont des lectures aussi jouissives qu’immorales. Judith et Holopherne en est la parfaite illustration. Jamais déçue et toujours à l’affût d’un moment de pur plaisir, de pur luxure, surtout, j’ai enfilé la robe de Judith, charnelle princesse de Béthulie, venue quêter au puissant Holopherne de devenir son roi en épargnant son peuple. La cause est aussi noble que le vice qui coule sur la peau de Judith.

La bible étant un support fantasque pour s’approprier quelques passages sulfureux où les héroïnes lascives ont la part belle, Riverstone en a tiré le meilleur parti. Puisant dans cette matière aussi intemporelle qu’indécente, l’auteur a fait naître deux femmes féroces et désirables qui m’ont chavirée. J’ai voulu être les deux à la fois. Thamara et Judith en proie à l’épopée et à la perversion. Chassée de sa belle-famille après deux mariages stériles, Thamara piège le patriarche Juda à qui elle donne des jumeaux dont descendra le mythique roi d’Israël : David.

La bible érotique

J’ai senti le soleil d’orient sur ma peau moite de plaisir, alanguie sur des couches royales et sauvages pourtant. Avec Riverstone, il n’y a pas de pression sociale sur les codes pornographiques d’une ère fantasmée. Il n’y a que les corps essoufflés et vivants, la chair célébrée et meurtrie pourtant. Du sexe brut derrière les noms, du sexe primaire comme aux premières heures du monde en quelque sorte.

De l’ancien testament ne reste que le scabreux et le fantasme. Une sève érotique qui dégoulinent et me grise terriblement. La violence et le sexe, impitoyables, m’ont rendue avide d’une débauche dans les draps presque célestes.

Un chef d’œuvre pour les amateurs du genre ou les dévots dévergondés

La bouche pleine – Brunel Rose

La Bouche PleineMêler les deux plus grands plaisirs humains en un seul et même roman, c’est possible. Du sexe et de la gastronomie, je salive d’avance tant sur les plats que sur le menu du vice. Déjanté, moderne et féminin, le premier roman de Rose Brunel est prometteur. Malgré quelques faiblesses de plume, ce qui m’a frustrée à plusieurs reprises, j’ai choisi de me concentrer sur la raison de ma lecture : la jouissance. La promesse de l’orgasme facile.

Aux côtés d’Iris dans la brigade d’élèves en haute gastronomie d’une cheffe étoilée, je suis les pérégrinations lubriques de l’héroïne qui transforme son métier de « corvée » en festin de chairs où tout le champ lexical prend une dimension vicieuse et sacrément obscène. Lécher. Goûter. Sucer. Fouetter. Tout est permis pour m’emporter au creux des cuisines où le cul rencontre l’art culinaire.

Gastronomie sensuelle

J’ai eu ce besoin d’exploser ma frustration en lisant Rose Brunel, de parcourir un érotisme convenu, mais efficace à l’image des romans pornos d’une autre époque. L’idée de rencontrer un univers bien différent des poncifs romanesques m’a conquise et je n’ai pas boudé mon plaisir en enfilant l’uniforme. Un uniforme souvent laissé ouvert où les culottes ne sont plus de rigueur, où les chambres froides peuvent devenir le lieu de tous les fantasmes. Improbables. Drôle. Terriblement divertissant. A pleine bouche a le mérite d’avoir comblé mon appétit libidineux en m’apprenant la rigueur, du moins l’idée de la rigueur, des grandes cuisines.

A emporter pour les vacances ou dans votre cuisine. La mienne est devenue un vaste terrain de jeux aussi salaces que sulfureux.

Céline Tran : “La littérature érotique suscite une imagination joueuse”

 DEB4564.aLes romans érotiques, cela vous évoque quoi ? Est-ce que la réalité dépasse la fiction ?

Céline Tran : Ils m’évoquent une imagination joueuse, une délicatesse des mots. la possibilité de franchir la ligne, de s’autoriser à exprimer ce qui ne saurait être prononcé à voix haute. Réalité et fiction se nourrissent mutuellement.

Je pense que de manière générale un récit est convaincant lorsqu’il est nourri d’une expérience, d’une forme d’authenticité. Mais la littérature est aussi là pour sublimer le réel, donner la part belle à l’imaginaire ! Si la fiction peut amplifier la réalité, cette dernière reste une matière première indispensable. Les deux se complètent.

Est-ce que vos lectures vous ont inspiré la femme que vous êtes aujourd’hui ? L’héroïne que tu voudrais être ?

Céline Tran : Le cinéma m’a davantage inspirée au cours de mon enfance et adolescence. Je pense par exemple au personnage de Catwoman interprété par Michelle Pfeiffer. Une jeune femme introvertie, presque maladroite, qui révèle sa force dès lors qu’elle porte son masque . J’aime les personnages qui présentent une dualité, qui ont une forme de revanche à prendre. Finalement, j’ai davantage eu des références masculines comme sources d’inspiration, des figures guerrières. Quant à la notion d’héroïne, je me suis toujours considérée comme l’héroïne de ma quête personnelle, je conçois ma vie comme un récit d’aventures où j’explore et m’initie. J’aime rêver, mais j’aime davantage incarner mes idéaux. Cela nécessite de prendre des risques.

Votre livre classique ?

Céline Tran :  Les Fleurs du Mal, de Baudelaire.

Le livre pour accompagner une sexualité ?

Céline Tran : J’ai plusieurs références en tête comme les guides en BD Les joies du Sextoy (vol1 1 & 2 dans la collection Porn’Pop que je dirige chez Glénat), et les ouvrages du sexothérapeute Alain Héril. Pour les hommes, Journal d’un corps, de Daniel Pennac. Mais à vrai dire, voilà un livre que je compte bien écrire!

Le livre qui vous a donné le goût de la lecture ?

Céline Tran : Il me semble que Les Fables de La Fontaine a été mon premier livre, dès lors que j’ai su lire. Le coup de foudre pour la lecture a été immédiat.Quand je suis rentrée dans la vie active à 20 ans, j’ai cessé de lire. Des années plus tard, c’est Harry Potter, qui m’a redonné le goût de lire!

Celui que vous auriez aimé écrire ?

Céline Tran : Le Parfum, de Patrick Süskind

Le livre que vous transmettrez à vos enfants ?

Céline Tran : Je ne compte pas avoir d’enfant mais je pense que Le Petit Prince est incontournable.

Le livre vous offrez à un premier rencard ?

Céline TranLa Pierre et le Sabre (et La Parfaite Lumière) , de Eiji Yoshikawa.

Le livre que vous avez honte de lire avec plaisir ?

Céline TranHistoire de l’oeil, de Georges Bataille. Plaisir transgressif!

Le livre que vous avez en commun avec la personne qui partage votre vie ?

Céline Tran : Dracula, de Bram Stoker, mais il y en a d’autres bien sûr.

Le livre qui vous fait toujours pleurer ?

Céline Tran : Plus jeune, je me souviens avoir été particulièrement touchée par L’appel de la Forêt, de Jack London et Que cent fleurs s’épanouissent, de Jicai Feng. Je ne les ai pas relus depuis.

Celui que tout le monde aime et que vous détestez ?

Céline TranDu côté de chez Swann, de Marcel Proust, découvert durant ma scolarité. J’avais été fortement déçue. Peut-être que je serais aujourd’hui plus sensible à son style.

Le livre pour votre meilleur meilleur ennemi ?

Céline TranToucher la Vie, de Thich Nhat Hanh. Un livre que j’offrirais tout autant à mon meilleur ami.

Tous les “Petit cochon” de Virginie Bégaudeau sont là.

Laisser un commentaire