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Le plaisir, c’est par où ?

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C’est l’histoire d’un nœud papillon rose. De joueurs facétieux et rigolos qui décident, un jour de finale du championnat de France d’orner leur tenue de joueurs de rugby d’un nœud papillon rose. Une fantaisie dans un moment crucial pour leur carrière de rugbymen. Une façon, aussi, de rire, de se moquer et de jouer les gentlemen à une époque où le rugby est un peu considéré comme un sport de “bœufs”. Une façon, surtout, pour un collectif – celui de l’équipe du Racing emmené par Franck Mesnel – de partager un moment de plaisir, un projet, un sourire. Ce jour-là, il remportèrent la finale.
C’est l’histoire d’un batteur qui arrive dans un groupe déjà un peu installé qui par ses blagues, son sourire et sa bonhomie, ainsi que par sa façon de taper sur sa batterie “va unir tout le groupe”. Les mots sont de Mc Cartney. Le batteur s’appelait Ringo. C’est l’histoire d’une bande de copains, dessinateurs, chansonniers, troubadours et journalistes qui, un jour du début des années 90, se décidèrent à aller trouver Cavanna pour relancer Charlie Hebdo.

C’est l’histoire d’un patron de presse, Christian Blachas, qui aimait la communication, la publicité, le journalisme, Elvis et le rock et qui sut transmettre à quiconque travaillait avec lui cette idée folle : si nous prenons du plaisir ensemble, alors nous serons meilleurs. Prendre  plaisir ensemble. Non pas seuls, chacun dans nos piscines et dans nos SUV, mais bel et bien ensemble pour construire du commun. L’une des premières manifestations de ce moment collectif de plaisir, de fantaisie dans une rigueur éthique, intellectuelle et culinaire a eu lieu en 1790. Lors de la fête de la Fédération. L’égalité y prévaut entre les participants et chacun porte des toasts aux valeurs supérieures. Le tout dans une ambiance un poil débonnaire. Que dire, ensuite des banquets républicains qui tout au long du second empire et ensuite lors de la IIIe République contribuèrent à solidifier les liens de personnes qui au départ étaient profondément différentes. Cela par les liens du plaisir pris ensemble, du sourire échangé, de la facétie partagée.

Deux événements concomitants ont fait ressurgir tout cela ce matin. D’abord, la sortie de l’essai vivifiant du philosophe Michaël Foessel intitulé “Quartier rouge : le plaisir et la gauche” (PUF). Dans ce livre Foessel interpelle sa famille de pensée : la gauche. Qu’as-tu fait de ta capacité à “partager ensemble” ? A unir par le simple échange d’un sourire ou d’un moment festif des conceptions du monde fortement plus soudées grâce aux rires échangés ? Où est passée l’antienne collective “jouissez sans entraves” qui appelait à la sortie des carcans de pensée collectifs plutôt qu’à ce qu’elle semble être devenue aujourd’hui : la simple revendication d’un plaisir individuel et immédiat dans lequel l’autre n’a pas sa place. Toutes ses interrogations de Foessel à la gauche valent, aussi, finalement pour tout un chacun.

Comment se fait-il que nous soyons collectivement plus tournés vers la mélancolie et la déploration que vers la fierté et le désir collectif qui font avancer et déplacer des montagnes ? 
Alors que ces interrogations étaient là. Le second événement a surgi. Comme une confirmation de l’abrutissement de ceux qui se prennent trop au sérieux : la publication par les éditions du Seuil d’un “manifeste conspirationniste”. Évidemment anonyme, le texte peut, après enquête, être attribué à la mouvance d’ultra gauche : le comité invisible et à son leader Julien Coupat. “Nous vaincrons parce que nous sommes les plus profonds“, c’est l’incipit de ce livre qui appelle à devenir conspirationniste. En lisant cette nouvelle, trois certitudes. La première : une envie de partager avec des amis les phrases les plus ineptes de ce brûlot imbécile. Pour en rire et les détourner.
La deuxième : se rappeler que trop se prendre au sérieux conduit à la sortie du monde réel et donc à des phrases aussi creuses que “Nous vaincrons parce que nous sommes les plus profonds”. Se dire que, décidément, pour en arriver à ce degré d’incurie, il faut avoir sacrément manqué de doux plaisirs partagés dans une vie.

La troisième et dernière, pour l’instant, c’est l’envie d’organiser un grand banquet républicain, dans lequel les chansons, les blagues, les dessins drôles, le grotesque et le mauvais esprit seraient présents. Où les valeurs communes seraient célébrées. Avec la certitude qu’après, pour construire des victoires, ce plaisir commun donnerait forcément envie à tous et toutes de porter un nœud papillon rose en exaltant un désir de vie. Que dis-je un désir, une fringale de vie source de jouvence des dépassements, des constructions, des victoires et des rires de demain.

Bon dimanche,

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