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Sensualité initiatique

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Dans sa sélection sensuelle du mois, Virginie Bégaudeau nous emmène sur les chemins de l’érotisme humoristique, du classique du SM, et d’un bijou de BD signé Moebius et Jodorowsky où la sensualité est un chemin initiatique. Superbement envoûtant !

 

Les malheurs de Janice – BERNARD JOUBERT

JANICELes malheurs de Janice c’est l’intégral que j’attendais avec impatience. Non, que j’attendais avec excitation. Une plongée dans l’Angleterre du XVIIIe, où cohabitent aristocratie et sadomasochisme. Ma passion pour l’historique est servie, je suis fébrile en tenant ce sublime volume entre les mains. J’ai des idées licencieuses, j’ai des souvenirs des premiers tomes tandis que je ne connais pas les derniers. Le plaisir de la nostalgie se mêle au désir, brusque et connaisseur.
Janice, c’est une jeune femme du peuple devenue la proie d’aristocrates sadiques. De prisons en manoir, elle gravit les échelons d’une société normée jusqu’à devenir une Lady. L’ascension à un prix, pourtant, je l’aurais payé aussi. Je suis conquise par les références de Sade, l’exigence du texte qui comble mon appétit féroce et aiguisé. J’emporte la BD dans un lit sculpté où je ferme les yeux pour rêver aux moulures des plafonds tandis que Janice se fait allégrement baiser, domptée par les puissants.

Monument de la littérature SM !

J’aime Janice parce que je suis Janice et je m’emploie à faire vivre ses fantasmes obscènes. Corps à corps, cœur endeuillé, il y a toute une recette qui gâte plusieurs générations érotiques. La révolte contre les désirs sadomasochistes jadis contre-nature et malgré tout secret d’alcôves. La débauche de Janice fait écho à ses nombreux voyages, ses nombreux lits défaits et ses jouissances qui accompagnent les miennes. Les outrages qu’elle subit ne sont rien à côté de ceux que j’aurais imaginés pour elle. Je suis à la fois la Milady et le vicomte. Les planches de Joubert ont la particularité d’offrir un champ des possibles à mon instinct lubrique.
Un monument de la littérature SM, à découvrir, redécouvrir pour s’inspirer.

Les petites femmes – SERON

PetitesfemmesAu tout début, SERON a publié des épisodes. Une sorte de suite à son œuvre « Les petits hommes ». Le parti pris de la BD humouristique, pastiche érotique de Spirou où l’influence de Franquin est très forte, est risqué. Mais il fonctionne pour les initiés et les amateurs de détournements. SERON a écrit à une époque où la bande-dessinée était principalement destinée au jeune public, et la bande-dessinée érotique aux hommes libidineux des ruelles sombres. Issue d’une école belge, il a échappé à la censure d’une décennie qui trouvaient les dessins trop explicites. Oui. Et tant mieux !

La sexualité, c’est rigolo

Je trouve le paradoxe fascinant et excitant à souhait. Fort heureux, la BD a muri, devenue scénarisée, adaptée à des lecteurs exigeants. Des lecteurs adultes, surtout. Dans les Petites femmes, j’ai eu l’impression de découvrir un SERON débridé, un SERON qui ne cache plus ses ardeurs et ses fantasmes. SERON qui a semblé abstinent. Une place belle à la gaudriole et aux galipettes.
Je ne peux parler d’extase au sens propre du terme, car l’extase est mature, les galipettes ont un goût juvénile.
L’île déserte, les amazones caricaturales, l’enfantement à outrance et l’homme soumis : des clichés parfaits pour désacraliser l’érotisme du moment. Alors, même si l’étincelle peut manquer parfois, je suis ravie, et toujours excitée, d’avoir découvert l’œuvre intégrale.
Une aventure lubrique qui parvient à réunir l’humour potache et le talent. J’oublierai peut-être le texte mais je garderai le reste dans ma luxurieuse bibliothèque.

 

Griffes d’ange – MOEBIUS & JODOROWSKY

Griffes D AngeS’il y a une impression qui reste après « Griffes d’ange » c’est qu’il est trop court. Toujours trop court. Les images indépendantes les unes des autres m’ont toujours fascinée. Mon avidité n’est jamais réellement comblée. Morbide. Sensuel. C’est une œuvre d’art à part entière.
Je me sens privilégiée d’emporter sous mes draps deux génies tels que Moebius et Jodorwsky que l’on ne présente plus vraiment. Griffe d’ange, c’est une odyssée métaphysique, un récit initiatique par le prisme de la sexualité qui m’a bouleversé et m’a fait remettre en question mes certitudes érotiques. J’aime les OVNIS et les inclassables. J’aime l’alchimie, éblouissante, du texte et du trait.
Tandis que je n’aime pas la mièvrerie quand il s’agit d’érotisme, sauf si elle est délibérément choisie, je suis servie. Mon expérience est surréaliste. Du sexe. Intemporel. Irréel.

Magistralement jouissif

Je n’ai plus de repères dans la jouissance. Les métaphores sexuelles et les pratiques me font oser une remise en question de tout. Je constate que pour Moebius, l’acte sexuel n’est pas seulement lié au plaisir et à l’orgasme. Non. Il symbolise les comportements humains. Il n’est pas un aboutissement mais un chemin de foi finalement.
Dans Griffes d’Ange, rien n’est gratuit. La pornographie est sublimée et elle explore les interdits, les rêves inachevés de beaucoup d’entre nous. Je suis basculée par les illustrations explicites qui épousent le texte. Le voyage est parfait. Il est sans doute l’un des plus réussis que j’ai réalisé.  Pour cette nouvelle réédition, la sobre couverture précédente est remplacée par une image faussement chaste que je découvre à mesure de l’œuvre.
Un texte magistral, un graphisme exceptionnel qui m’ont transcendée jusqu’à l’impossible. J’ai eu la sensation que ma sexualité était rigide et évidente, avec Griffes d’ange, elle est libre. Une œuvre malgré tout très personnelle réservée aux amateurs du genre, voire aux passionnés.

Tous les “Petits cochons” d’Ernest dédiés à la littérature érotique sont là.

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