En ce 22 mars, non seulement, nous commémorons les 50 ans de Mai 68 qui a démarré le 22 mars à Nanterre, avec la revendication d’un dortoir commun pour les filles et les garçons, mais nous fêtons plus prosaïquement, l’arrivée du printemps. Et comme on disait en 1968 : “le printemps sera chaud”. A la lecture de ces superbes chroniques de notre journaliste Virginie Bégaudeau, cela ne fait aucun doute.
Le divin enfer de Gabriel – Sylvain Reynard
« Un roman pour jeune public en quête d’érotisme »
La Divine Comédie n’aurait-elle jamais autant inspiré d’érotisme ?
En compagnie du professeur Gabriel Emerson, spécialiste de Dante, j’explore le libertinage sous couvert de mystère. Un doux libertinage. Loin de ce que j’ai l’habitude de rencontrer. Mais c’est léger et ça m’a fait du bien. Outre le passé de Gabriel empli de désespoir où la rédemption n’a pas sa place, je savoure les frasques de cet intellectuel qui devient l’apôtre des nuits luxurieuses. Le cliché enveloppe le roman entier, professeur et belle étudiante, une romance qui n’a rien d’exceptionnel, mais qui a le mérite d’avoir une plume riche et excitante. C’est là que l’on sombre avec eux : le couple Dante & Béatrice qui ajoute un soupçon d’Histoire, rendant les personnages plus électriques que jamais, aussi inaccessibles que possible. Il y a ce côté régressif des histoires frivoles, là où l’orgasme est plus insidieux, mais pas moins fort. Là où il est presque culpabilisant de jouir entre deux pages de banalités ou de scénarios à l’eau de rose. Je n’y vois pas d’extase mais de fantasmes brûlants, presque purs, et efficaces.
Un panel de sensations exquises
Quelque peu déroutée pendant ma lecture, inquiète de retrouver un « 50 shades of Grey », j’ai eu des moments de flottement, mais vite bousculés par les scènes érotiques. Pas pornographiques. Il n’y a d’ailleurs rien de pornographique dans le texte de Sylvain Reynard. Alors oui, le sexe est présent, le sexe envoûte l’obscur professeur, mais l’on y parle aussi d’amour. La tension est palpable, je la ressens à mesure que j’avance. Légère, puis percutante. C’est réellement cette fausse innocence qui m’a plongée dans cette tornade et m’en donné l’impression d’être pervertie plus que nos héros.
J’ai exercé une domination sur ses êtres imaginaires, accompagnant leurs élucubrations à ma manière, obscène et vicieuse. Les différents points de vue des personnages, majoritairement mené par Gabriel, me permettent de m’introduire avec eux, de partager une intimité transparente. Un tumulte décadent, un tourbillon amoureux qui laisse l’imagination vagabonder au-delà des mots. C’est au cœur d’une histoire où la question du bonheur est soulevée à chaque prise avec le héros que je côtoie les rouages d’une romance piquante. Poétique. Enivrante. Adapté à un public en quête d’érotisme soft, « Le divin enfer de Gabriel » m’offre un panel de sensations, du frisson au plaisir que je ne regrette pas d’avoir dévoré.
Un souffle de douceur qui m’emporte vers ce que l’extase a de plus subtil et de juvénile. Un délice en souvenir de ses émois d’adolescent. Et lorsque je parle d’adolescence, je parle de ces illusions bercées d’hormones pyromanes et frénétiques, celles qui manquent parfois en vieillissant et qu’il est bon de retrouver de temps en temps, comme à 15 ans en fermant sa porte de chambre.
Justine ou les malheurs de la vertu – Marquis de Sade
« Vous avez imaginé faire merveille en me réduisant à une abstinence atroce sur le péché de chair ; eh bien vous vous êtes trompés, vous avez échauffé ma tête, vous m’avez fait former des fantômes qu’il faudra que je réalise ».
Sade a écrit à ses censeurs. Sade a menacé ses futurs lecteurs. A 50 ans, Sade créé Justine. Un choc. Une décadence. Une merveille pornographique d’un cerveau incendié de luxure.
Je connais Sade, la réputation de l’œuvre plus que le texte lui-même. Mais en m’attaquant à Justine, la version entre-deux, j’ignorais jusqu’où j’irais. Un roman confiné dans des boudoirs luxueux à la prose verbeuse et quelque peu dénaturée ? Non. Non. Non.
Sade c’est de la vulgarité extrême avec la richesse des lettres. J’ai été propulsée dans l’arène du viol, de la torture, du chantage, du meurtre, aux premières loges pour vivre avec Justine toutes ces atrocités qui mêlent plaisir et douleur. Si j’avais eu deux disponibles mains, j’aurais pu applaudir. Une symphonie agressive. Les dialogues sont purement jouissifs. Des pervers aux philosophes, les personnages sont d’un raisonnement à couper le souffle.
Une vulgarité électrisante et terriblement excitante
Même si la lecture est parfois délicate, difficile et un brin caricaturale dans le portrait de l’héroïne, j’ai réussi à m’immiscer au creux des pensées de chacun, à la fois celles de Justine ou d’un prisonnier, prenant l’excitation de plein fouet. Attisée par les pulsions sadiques, émoustillée d’être aux côtés de Sade à mesure qu’il écrivait des horreurs pour ne jamais oublié qu’elles venaient de lui, j’ai trouvé le goût de la pornographie d’époque. Chaînes, crochets, moines libidineux et chevaliers menteurs, tout est là pour me rappeler quel vice je côtoie. « Justine » pourrait même être un mauvais roman porno, il en a toutes les caractéristiques, mais Sade est aussi doué qu’on le dit. Qu’on l’imagine. Qu’on le fantasme. Sa violence m’entraîne, m’électrise. C’est le côté sapio-sexuel qui prend le dessus, et pour le dessous, je vous laisse deviner de mon état.
Peanut Butter – Clarke Cornnell
Dans la bande-dessinée érotique et pornographique, il y a tout un ensemble de clichés séduisants, excitants et tellement obscènes qu’on se surprend à les savourer.
Je n’ai pas été surprise, justement, et j’ai dégusté religieusement les quatre volumes de « Peanut Butter ». Molly est une lycéenne dans un institut catholique et sa découverte de la sexualité est aussi jouissive pour elle que pour moi. La forme de journal rend l’histoire plus infantile, quelque part entre la perversité de l’adolescence et la candeur de ce type de format. C’est attendu, pour ne pas dire convenu, et le dessin rappelle les BD humoristiques grand public. Mais c’est léger. J’ai adoré suivre les aventures de cette jeune femme obsédée par son beurre de cacahuète qu’elle étale dans tous ces endroits qui ne laissent plus de place à l’imagination. J’ai voulu redevenir cette adolescente pucelle et avide de découvertes. Rebutée de rien, curieuse de toutes les pratiques.
Redécouvrir les instants érotiques de l’adolescence
Les dialogues sont simples, voire triviaux. Il n’est question que de sexe et de l’image masturbatoire. C’est excitant, régressif. J’ai eu l’impression de reperdre un peu de ma virginité de scénario en scénario. J’ai aimé les albums de Clarke Cornell en sachant que je ne les choisissais pas pour la lecture. Mais à la différence de nombreuses BD pornos, celles-ci ne sont pas uniquement destinées aux hommes. Efficaces de ses poncifs, j’ai su quel que mon plaisir serait immédiat, loin d’être cérébral et latent. Il serait nouveau.
Pénétrant et couvert de second degré, les élucubrations de Molly ne m’ont pas laissée insensible, au point où à mon tour, j ’ai regretté de ne plus être une pensionnaire de 16 ans. Un soupçon de nostalgie sur tout ce que j’ai manqué à cette flamboyante période. « Peanut Butter » se dévore comme il se doit et pas seulement pour le petit-déjeuner. Enfin, pas celui dont j’ai l’habitude.