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Impossible n’est pas italien !

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C’est l’histoire d’un homme qui se promène en montagne. Il la connaît bien. Très bien même. Elle est son lieu de méditation. Son lieu de ressourcement. Un jour, un accident se produit. Devant lui, un autre homme fait une chute mortelle. Un jeune magistrat est chargé de l’enquête et il est persuadé que ce n’est pas un accident. Il interroge le montagnard chevronné. Longuement. Le soupçonne d’avoir poussé l’autre. Cet autre qui n’est pas un inconnu puisqu’il fut un compagnon de lutte de notre montagnard dans leur jeunesse, dans l’un des mouvements révolutionnaires italiens des années 70. Le décor est planté. A la manière de Fernando Pessoa dans son sublime « Le banquier anarchiste », Erri De Luca retranscrit les interrogatoires entre notre montagnard et le jeune magistrat qui cherche à le coincer. La joute est savoureuse. Ils sont de la même époque, mais pas forcément du même monde. « Le monde s’est retourné comme un gant. Ce XXe siècle est un temps si périmé qu’il est incompréhensible pour ceux qui sont venus après », assène l’accusé au magistrat qui a tendance à juger le passé avec les yeux d’aujourd’hui. Cette joute magistrale d’une beauté et d’une profondeur à couper le souffle épouse tous les questionnements humains autour de l’amour, de la trahison, de l’amitié et surtout de la justice. A tel point que l’on prend conscience de lire quelque chose qui fera date. Qui doit faire date.

Et de se demander si au fond, le talent des grands écrivains était de pouvoir – dans une fiction – faire dialoguer les mondes ? Ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui, ceux de demain. Erri De Luca a ce talent. Il est immense. Ce dernier roman en est l’une des plus grandes illustrations. En 176 pages écrites au cordeau, De Luca embrasse l’histoire de l’Italie, et plus largement de l’engagement politique, il délivre aussi une profonde réflexion sur la notion de justice et sur le rôle de celle-ci pour résoudre ou non les conflits des hommes. Ce livre est aussi une plongée dans les arcanes de la vérité et des vérités qui peuvent s’opposer et se contredire. Finalement, qu’est-ce qui est vrai ? « Impossible, c’est la définition d’un évènement jusqu’au moment où il se produit », écrit d’ailleurs De Luca.

Ce livre intense, merveilleux et émouvant, est aussi un bijou de livre d’amour. En effet, De Luca alterne la retranscription des interrogatoires vifs et acérés entre le magistrat et le montagnard, avec le moment où son héros est en cellule, face au miroir, face à lui-même, face à sa vie. Il écrit alors à « Ammoremio ». Sa camarade, son amie, son amour.

Conte philosophique, roman d’amour, livre intemporel et puissant

Ernest De LucaCes mots sont l’occasion de son introspection. Fait-il bien de répondre comme il répond à ce magistrat du monde moderne ? Ils sont aussi des modèles de lettres d’amoureux. De celles qui font frémir, de celles où les amoureux sont sur un pied d’égalité et ne se possèdent pas l’un l’autre. « J’ai toutes une variété de bonheur avec toi, tu ne m’en as pas privé, tu en as même inventés que je ne pouvais pas imaginer. Ils sont faits sur mesure pour moi et ne pourront se reproduire à l’identique avec aucun autre », écrit notre ancien militant montagnard. Et de rappeler à quel point la liberté qu’il a dans ses réponses avec le magistrat puisqu’il a déjà été condamné pour son engagement vaut aussi pour son aimée : « Tu es une femme au cœur du monde. S’il t’arrive d’éprouver un désir impérieux pour un homme, tu l’exprimes et tu le satisfais. J’espère que tu ne tomberas pas amoureuse, mais quand bien même, je t’aime tant. Le bonheur que tu saisis avec un autre ne m’enlève rien de toi. Tu ne pouvais trouver ce bonheur avec moi ».

Ainsi, que ce soit au moment de l’interrogatoire, mais aussi dans les lettres qu’il écrit à son amoureuse, la question centrale pour le héros d’« Impossible » est de conquérir ou non sa liberté. De s’approcher de sa propre vérité de l’ausculter, de la malaxer mais aussi et surtout de l’accepter pour pouvoir vivre avec en harmonie. Lors de la sortie de son dernier livre, Erri De Luca, interrogé ici chez Ernest par Alain Louyot nous confiait d’ailleurs la chose suivante : “Ici-bas il n’existe pas de causes mais des conséquences. Je m’estime l’une des innombrables conséquences du temps et du monde.” Conséquence du temps et du monde qui cherche sa liberté. Voilà – peut-être – l’une des définitions de l’Humanité.

Avec ce livre, Erri De Luca synthétise toutes les thématiques qui lui sont chères. L’amour, l’engagement politique, l’éthique, la morale et la façon dont l’homme avec un grand H se dépêtre avec tout cela. Tout sonne juste. Que l’on soit ou non engagé, que l’on soit ou non amoureux, puisque nous sommes simplement humains et que le temps qui passe nous concerne tous. Ce livre est un bijou que l’on est triste de quitter. Un bijou qui fait autant appel à notre cœur qu’à notre cerveau. Un livre qui aime son lecteur et sa lectrice. Avec « Impossible », Erri De Luca nous emmène avec son narrateur dans la montagne. Celle que ce dernier escalade, mais aussi celle des livres qui restent en mémoire.

“Impossible”, Erri De Luca, Gallimard, 176 pages, 16,50 euros.

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