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JC-Ellena : “Je livre une partie de moi”

Sa voix est lumineuse. Son éclat de rire un prolongement de l’été. Jean-Claude Ellena est parfumeur. « L’écrivain des odeurs » (Nez Littérature / Contrepoint, 2017) incarne ce qu’il est : un amateur de récit olfactifs. Il évoque Giono. Son élixir des merveilles. A vaporiser sans retenue.

« Cela m’arrive d’offrir des livres (grand éclat de rire) et pas uniquement les miens ! Heureusement d’ailleurs ! (grand éclat de rire). C’est assez rare quand même car, autour de moi, je compte assez peu de lecteurs. Je suis un bon lecteur. Ma femme l’est encore davantage. Je viens d’offrir à un ami un livre que j’ai beaucoup aimé : Impossible d’Erri De Luca (Gallimard) (Chez Ernest aussi, nous avons adoré ce livre. Ici et ). L’histoire se passe en montagne. Mon ami est un grand marcheur. L’intrigue tourne autour d’un juge et d’un homme, de mon âge, ancien des Brigades rouges. Il a purgé pas mal de prison. Le corps d’un homme est retrouvé dans la montagne. Ce cadavre est celui d’un ancien compagnon de cette fratrie des Brigades rouges. Il les avait trahis. Le juge le soupçonne car se promenait dans les Dolomite. Ce roman est la confrontation d’un juge très jeune avec un monsieur d’un certain âge. Ce livre est passionnant autour de la montage et de ce duel entre ces deux hommes. Ce roman est très bien écrit. Je suis très sensible à la forme. Quand la forme ne me convient pas, je laisse le livre. Je ne peux pas le lire.

Offrir un livre est un cadeau. Un don même. J’y mets toujours un peu d’anxiété car ce geste dit plusieurs choses. Je fais le don de quelque chose que j’ai beaucoup aimé. Grâce à cela, la personne va mieux me comprendre, mieux me connaitre. Je lui livre une partie de ce que je suis et de ce que j’aime. En parallèle, se trouve aussi l’amour pour l’autre personne. Cela signifie : « je pense que cela devrait t’intéresser ». J’ai l’impression ainsi de mieux connaitre la personne. C’est ambivalent : l’amour pour la personne et la peur de se démasquer.

Je suis abonné au Monde, au Nouvel observateur et à Télérama donc je lis beaucoup de critiques. Je peux aussi en écouter sur France Inter. Donc, je repère les livres qui m’intéressent.

“J’aime la sensualité de Giono”

Je suis fan de Jean Giono. J’ai presque tout lu de lui plusieurs fois. Jusqu’à six fois même ! Lors de mes relectures, l’histoire ne m’intéresse plus. Je la connais. Donc, je me concentre sur la forme, les détails. L’aspect stylistique me passionne : le choix des mots. Je lis, relis et me dis : « wouah qu’est-ce qu’il est bon ! » ( grand éclat de rire). Les trois arbres de Palzem (Gallimard) font partie de mes références.
Jean Giono savait très bien parler des odeurs. Il est meilleur que moi dans les odeurs (rires). Son écriture est très sensuelle d’un point de vue sensitif. Il décrit très bien les odeurs et sait s’amuser avec elles. Il me donnait des leçons sur cette façon d’écrire les parfums. Cela m’a inspiré. Cela m’a aidé. Et cela m’a libéré. Je me suis dit que je pouvais le faire, certes différemment. En revanche, son écriture est très riche. Il n’hésite pas à charger le texte alors que ma façon d’aborder les parfums se base sur l’épure. Aller à l’essentiel. Je suis très économe alors qu’il est très généreux. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas généreux dans mon économie (rires). La recherche est différente, voilà tout. A sa richesse, j’ai pris le partie de l’économie de moyens pour dire un maximum de choses. Giono m’a donné d’énormes leçons de création.

Une exemple : j’avais une trentaine d’année. Il parle des lieux qui nourrissent sa pensée et son écriture. Avec ma femme, nous sommes allés sur ces mêmes lieux. Je voulais voir. Quand j’arrive, c’était désert. Il n’y avait que des pierres et des arbres chétifs. Il écrit alors une phrase terrible : «Toute ma vie, je me suis efforcé de décrire le monde non pas comme il est, mais comme il est quand je m’y ajoute »… Il fallait que je me rajoute à la nature. Tout est dit dans cette phrase ! Il y rajoutait son imaginaire et son imaginaire faisait la différence. Cette petite phrase est une leçon de création. Se rajouter au monde. Cela signifiait : ne prend pas une photographie de ce que tu sens et rajoute-toi à ce que tu sens. Ajoute ta partie d’imaginaire, ta partie émotionnelle. Si je sens une rose, la rose seule ne m’intéresse pas. Ce qui m’importe c’est la rose plus ce que je rajoute à la rose.IMG 8280

Qui dit écrit, dit récit, donc dit histoire. Le parfum, pour moi, est un récit. Par exemple, dernièrement, j’ai retravaillé la tubéreuse. J’ai planté des oignons de tubéreuse. J’attends le mois d’aout puisqu’elle commence à fleurir à cette période. Son odeur est très faible en journée. Elle devient très présente à partir de 19h – 20h. Elle se développe énormément jusqu’à minuit – 1 heure du matin. Puis, d’un seul coup, il n’y a plus rien. Elle suit un cycle. Ce cycle est un récit. Elle change dans le temps en prenant des côtés musqués, fleuris, épicés. Cette évolution m’offre un récit. Je ne m’arrête pas à sa simple composition. J’ai besoin de ce récit. J’aime prendre cet exemple car il est vécu et simple à comprendre. La fleur raconte une histoire. A moi de la reprendre avec mes propres ressentis et mes propres émotions afin de l’écrire telle que je la perçois. En somme cela dit : je t’écoute et je vais révéler l’histoire que tu me racontes à ma manière.

Cette démarche devient intéressante. C’est beaucoup plus complexe, plus riche d’un discours. Le public n’est forcément pas toujours averti. Il ne le sentira pas toujours non plus. C’est le cadeau que je fais. Personnellement, je pense que les gens peuvent le ressentir. Ils sentent qu’il se passe quelque chose.

J’étais un très mauvais élève à l’école. A l’âge de dix-sept ans, je me suis retrouvé comme ouvrier dans l’industrie du parfum. Un réveil s’est produit. Je me suis dit : « oui ! cela me plait ! ». Il s’est passé quelque chose car les gens étaient bienveillants. J’étais dans le concret. Apprendre le parfum, c’est d’abord un savoir-faire. C’est du concret. Avec le temps, je suis devenu davantage conceptuel. Et maintenant, je me balade entre les deux. Je me déplace sur cet axe entre l’abstrait et le concret. C’était une révélation lente. Plus j’entrais dans le parfum, plus j’étais heureux. Je pouvais prendre ce chemin et m’y exprimer.

Aussi bizarre que cela paraisse, pour moi, il est plus facile d’offrir un livre que j’ai écrit (grand éclat de rire). Je les offre à des personnes intéressées par la parfumerie. Ils me connaissent. Ils vont retrouver ce que je suis. Alors qu’une œuvre qui ne m’appartient pas dit aussi des choses de moi. Les livres que j’ai écrits sont aussi des outils de transmission. J’ai donné quelques cours de parfumerie. J’étais atterré lorsque certains étudiants voulaient une recette. La recette n’est pas importante. En cuisine, c’est la même chose. Suivre une recette ne fait de vous un cuisinier. Je leur disais : « Et une fois que vous avez la recette, et alors ? Vous allez faire du « Ellena » ? ». Cela ne sert à rien. En revanche, comprendre la manière dont je fais le parfum peut vous aider. Vous pourrez, à votre tour, penser la chose odorante. On peut penser l’odeur et devenir parfumeur. Une recette est sans intérêt.

Beaucoup de choses sont odeurs et parfums. La création, que ce soit en littérature, en musique ou en parfumerie, utilise le même système cognitif. La manière de penser est la même. Seule la matière change. Le problème est de bien connaitre la matière sinon cela ne marche pas ».

Tous les “Tu vas aimer” sont là.

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