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La carte et les territoires

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Cette semaine, Frédéric Potier a lu l’excellent essai d’Achille Warnant sur la France oubliée des villes moyennes. Un texte passionnant au moment où il nous faudra réinventer notre idée du “Made in France” et peut-être nos visions du monde. Très utile dans ce moment !

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Voici un livre qui aurait sûrement inspiré il y a quelques mois un sourire méprisant voire un petit ricanement à toute la technostructure d’État. « Les villes moyennes ? Je connais pas… Pau, Agen, Le Mans, Bourges, Dijon, Tours, Vannes, Caen, Béziers, Nîmes ? Jamais mis les pieds ». Hélas les élites administrative-financières et médiatiques connaissent bien mieux Paris, Londres, New-York, Rome ou Bruxelles… éventuellement Bordeaux et Lyon, que les villes de moins de 100 000 habitants de leur propre pays ! Ou alors brièvement à l’occasion d’un stage de l’ENA en préfecture, d’un mariage d’un arrière petit-cousin en province, d’un week-end en Air B&B dans le Perche ou d’un festival d’été devenu le temps d’une semaine « the place to be » de l’intelligentsia parisienne. On se souvient à ce propos que Michel Houellebecq se gaussait avec méchanceté de la ville de Beauvais dans un passage de La carte et le territoire (2010) rédigé à partir d’une fiche Wikipedia… ce qui l’empêcha pas d’obtenir le Goncourt cette année-là.

“Les ronds-points occupés et nos parents confinés loin de Paris ont rappelés à notre souvenir la réalité géographique française”

Cette grande ignorance explique pour une large partie l’élaboration de politiques publiques centrées sur la construction de métropoles urbaines et la consolidation des régions d’une part ; la revitalisation rurale d’autre part autour de l’agro-alimentaire. Les principales victimes de ce mouvement étant l’échelon départemental et les villes moyennes, pourtant deux piliers fondateurs de la géographie et des institutions françaises issues de la Révolution française. Le résultat est connu : une fragmentation territoriale, économique et sociale encore accrue.

Ernest Mag Villes MoyennesL’année 2019-2020 aura permis de bousculer tout cela sous l’effet conjugué de la crise des gilets jaunes et du confinement covid-19. Les ronds-points occupés et nos parents confinés loin de Paris ont rappelés à notre bon souvenir les réalités géographiques françaises. Oui, il existe bien un espace urbain habité (et civilisé) entre les métropoles et les maisons de vacances…
Le petit essai d’Achille Warnant (préfacé par l’excellent David Djaiz. Nous vous parlions de son très bel essai, ici) que publie la fondation Jean-Jaurès (en téléchargement gratuit ici ) l’indique encore plus clairement par son titre :  « Les villes moyennes sont de retour ».

Contrairement au concept de « France périphérique » (Christophe Guilluy) qui met l’accent sur les phénomènes d’éloignement de manière uniforme, cet essai assume un regard nuancé sur « l’irréductible diversité territoriale et une humaine »  de l’hexagone. En effet, dans les 203 villes moyennes recensées à partir de la définition utilisée par la puissance publique vivent 15 millions d’habitants, soit un quart de la population française ! Penser l’avenir de ces villes, c’est donc aussi, en creux penser l’avenir de l’ensemble du pays.

Si certaines villes moyennes prospèrent grâce à leur localisation (littoral, montagne, zone frontalière) ou leur spécialisation industrielle (Chollet), d’autres s’enfoncent dans une crise durable. Fief du mitterrandisme, Nevers est revenue à sa population de 1936… Montluçon, dans le département de l’Allier, n’en finit pas de se désindustrialiser.

La défaite du PS aux élections municipales de 2014, outre le contexte national, constituait déjà une forme d’avertissement politique de ce phénomène. Très prononcée dans les villes moyennes, cette sanction électorale trouvait sa source dans des facteurs multiples bien réels (désertification des centres villes, étalement urbain, envolée du chômage, insécurité).

“Sortir de l’État stratège lointain”

Une première prise de conscience a eu lieu en décembre 2017 avec la présentation d’un plan gouvernemental intitulé « Action cœur de ville » doté de 5 milliards d’euros sur cinq ans. L’auteur préconise cependant d’aller beaucoup plus loin et propose de donner une légitimité encore plus forte aux intercommunalités par leur élection au suffrage direct et indépendante des élections municipales. Il invite aussi L’État à ne plus désinvestir dans ces territoires tout en réinterrogeant l’injonction à la croissance démographique des villes.

Pour apporter ma pierre à l’édifice, je dirais que l’État ne doit plus se contenter d’un rôle de stratège lointain vaguement prescripteur. Les plus récentes crises nous rappellent qu’en tant que garant de l’unité nationale et de la cohésion sociale, il doit disposer d’instruments d’intervention directs et d’opérateurs efficaces, pas seulement de grands documents stratégiques. Bref, un État actif. Sa reconstruction sera un vrai chantier qui nous permettra de faire mentir Christophe Miossec qui regrettait dans une de ses chansons (30 ans) « Tant de mésaventures dans les petites préfectures »

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