Ce mois-ci, Virginie Begaudeau nous régale en nous emmenant aux confins de l’érotisme, de la domination et des interdits. Une chronique chaude et sensuelle à savourer confinés.
La remplaçante – Guillaume Perrotte
En découvrant la collection « Les Nouveaux Interdits », j’ignorais si j’allais rencontrer Esparbec ou des auteurs plus doux. Je n’ai pas caché mon enthousiasme à l’idée que tout était possible. Ravissement ! Extase ! C’est de la perversité dans un écrin de latex, des textes totalement inédits et totalement indécents. Pornos, plus honnêtement. J’ai adoré la plume de Guillaume Perrotte tranchante, auteur contemporain qui saute, en plus de ses héroïnes, les tabous encore présents dans la littérature érotique.
Avec « La remplaçante, » je suis emportée dans un conte cruel et licencieux. Le sujet est fascinant : le veuvage ! Que se passe-t-il lorsque Dan perd son épouse Alice, chanteuse affriolante mais frigide dans le lit conjugal ? Il devient le veuf joyeux ! Pire, il devient fou. Je suis curieuse et déjà excitée d’embarquer avec lui ! Trois jours d’aventures où une strip-teaseuse doit remplacer Alice en devenant son sosie. Macabre et délicieux.
La cruauté du texte est entre les lignes, mais aussi entre les cuisses des lecteurs et lectrices
Dans le roman de Guillaume Perrotte, c’est l’obscénité des personnages qui m’a aiguisée. Transportée dans ces fantasmes dépravés et pourtant savoureux. Il m’a manipulée entre la mort et la jouissance. J’ai goûté aux plaisirs vicieux de la frustration et du renouveau. Il y a le délire des frénétiques, cette course contre la morale et pour l’extase.
Malgré l’ultimatum entre Dan et le sosie de son épouse, il m’est impossible de revenir en arrière. J’en veux encore. Beaucoup. Je veux poursuivre ce sexe fou et même prendre la relève s’il le faut. J’ai la sensation d’inachevé, un désir inassouvi et brûlant pourtant.
Ma peau frisonne et mon corps poursuit sa quête charnelle. Bien heureux, Guillaume Perrotte a le secret pour m’enflammer. Toute la cruauté du texte est là : entre les lignes et entre les cuisses des lecteurs.
Juliette de Sade – Marquis de Sade
« Toutes ces créatures étant fort libertines, peut-être ne serez-vous pas fâchés d’entendre ce que chacune exigea de moi. » Sade. La religion. Les fantasmes interdits. Une recette parfaite pour jouir sans silence en flirtant avec le texte et l’image de cette nouvelle édition de Juliette de Sade. Juliette, élevée au couvent, est séduite par une femme qui vole sa candeur. La moralité et la religion n’ont aucun sens à ses yeux. Seules la chair et la turpitude font écho à la réalité. C’est alors dans ce partage de valeurs que je m’immisce dans les draps de ces femmes insouciantes et libidineuses. Je ne sais jamais comment me positionner en lisant ce texte : être Juliette ou la maîtresse. Même si les années passent, je ne quitte pas mes robes de jouvencelle. Je plonge alors subtilement dans la peau de l’enseignante de vie, de l’épicurienne.
Jouir d’être au coeur de la perversité et d’apprendre
Mais derrière toutes ces morales obscènes se cachent l’extrême : l’assassinat que commet Juliette à plusieurs reprises. Coupler la luxure et le meurtre est toujours audacieux. Et j’en suis séduite ici. J’accompagne Juliette pendant deux décennies, dévergondées, pratiquant la dépravation et l’homicide. Je suis déroutée par les illustrations qui escortent cette lecture hors du temps et qui dépasse l’entendement. Le plaisir est pour l’invraisemblable. Pourtant, Juliette s’inspire de personnage réels et cette découverte m’a bouleversée. Sa rencontre avec le pape, dit « Braschi » restera un souvenir unique : la digression des immoralités commises par son prédécesseur. Même si la scène se termine en une orgie papale, j’en ressors aussi excitée qu’intimidée.
Dans toutes ces héroïnes impudiques, se trouvent de grandes femmes de l’Histoire (Isabeau de Bavière…). Je jouis d’apprendre. Je jouis d’être au cœur de cette perversité que l’auteur maîtrise tant. La monstruosité du texte résonne avec l’extase qu’il m’a procurée. Je suis Juliette, forte, libre, débauchée. Je suis Juliette fantasmée.
Dressage conjugal – Robert Merodack
” Si même la douleur a un sens, il faut bien qu’elle fasse plaisir à quelqu’un. “ Nietzsche. Pour parler de douleur, le philosophe est toujours l’expert. Le désaxé. Le déprimant. Mais l’évoquer dans un contexte pornographique, m’a attisée. « Dressage conjugal » sonne comme un manuel anti-féministe, un livre que les hommes s’arrachent pour faire rire, mais surtout jouir, leur femme. Il n’en est rien. J’ai planté mes valeurs à chaque page, puis le plaisir a supplanté le reste. Sauf la réflexion. Ce n’est pas du roman sadomasochiste au sens strict du terme, encore moins un cliché sur la place de la femme dans les fantasmes masculins ou une ode à la violence. Non, l’extase féminine est au centre des mots. La douleur la sublime. J’en suis chavirée. Electrisée. A travers les cinq textes signés par le maître de la littérature SM. La plume est maniaque, comme l’initiation de ces sublimes créatures auxquelles je crève de m’identifier. A la fois inaccessibles et ordinaires, elles se régalent, dégustent le foutre et le sang. Leurs orgasmes font écho aux miens. C’est aussi l’inconscient qui guide mon excitation : le tabou du plaisir dans la souffrance. Consentie et cherchée.
Être dressée pour dresser mes pairs
J’ai adoré partager ces instants purement sexuels avec les personnages hauts en couleur de Merodack. La caricature les rend plus vrais tout en me permettant de m’éloigner un peu si le désir ou la peur sont trop forts. J’ai savouré « Dressage conjugal » comme un en-cas dans le noir, entre un appétit féroce et une brûlante envie de volupté. J’ai cédé avec chacun d’entre eux, la cadre dynamique, l’infirmière, et en particulier l’abandonnée au fouet de son maître. J’ai conscience qu’une part de moi se grise d’autorité, qu’elle plonge dans ces textes dominants, mais je l’apprécie. Elle est débridée à souhait. Elle me sort des sentiers propres et entretenues comme les toisons des héroïnes trop sages d’un temps ancien.
Je suis pétrifiée par le supplice et fébrile à la fois. Repue d’une aussi profonde jouissance dans ces rêveries enfouies, mais prête à bondir. Être dressée pour dresser mes pairs. Un pari fou.
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