Le “Petit cochon” est de retour. Ce mois-ci, afin de vous aider à remplir vos valises si vous partez au ski ou au soleil, ou simplement pour égayer votre week-end, Virginie Bégaudeau a sélectionné des livres où la chaleur incandescente n’a d’équivalent que l’humidité des plaisirs. Régalez-vous.
Putain – Nelly Arcand
« Le sexe n’est plus un tabou, mais une obsession collective. La société de consommation exige qu’on ne se prive de rien, pas d’avantage de l’orgasme que du reste. »
Cette autobiographie est le reflet d’une société malade. Le personnage de Putain, certainement Nelly Arcan, m’a fait écho. La réalité a rejoint la fiction avec le suicide de cette icône de la prostitution. Cachée derrière les rideaux de sa chambre, cette prostituée patiente entre deux clients. Il y a l’attente et le souvenir. Une introspection où la douleur surpasse la jouissance. J’y lis la dévotion, l’absence et l’indifférence, beaucoup. Mais surtout, il y la jouissance. Les hommes sont ses martyrs, et pourtant, ils l’emportent dans une extase dans laquelle elle se réfugie. Je l’accompagne. Je veux connaître ces clients et ces orgasmes hors la loi. Hors des clous. L’auteure se déteste.
Un testament érotique troublant
Je suis son obsession à mesure que les anecdotes peuplent ce texte excitant. C’est sombre, c’est immoral. Et c’est un appel au secours. Un exorcisme, comme elle le dit souvent. La prostituée doit survivre, et la lectrice que je suis, aimerait l’aider. L’inciter. Je me suis glissée dans les lits de ces pervers, guidant leurs mains sur ma peau, dégustant la monnaie qu’ils envoient après l’amour. L’amour ? Quel amour ? Je n’en ai pas vu. Il n’y a que le mépris et le stupre. C’est un condensé de fantasmes intemporels. La femme qui fait payer les hommes. Les hommes qui payent les femmes pour goûter à du sexe impur. Les « femmes vulves ». Pour eux, c’est une fois, souvent deux. Pour elle, et pour moi, c’est une accumulation de passes qui se transforme en catharsis ou en couloir de la mort. Ce qui arriva. Heurtée par tant de dégoût, j’ai eu mal à quitter mon costume d’escort et les chambres d’hôtel à la recherche d’un salaire indécent. Le vice coule entre les pages, comme le stupre coule dans les bouches, entre les seins et les cuisses.
Le style est lent. Les phrases interminables. C’est d’ailleurs ce qui rend le texte aussi angoissant. J’ai senti l’étau se resserrer tandis que je lisais l’esclavage moderne. Je suis mal à l’aise en y songeant. Car j’ai choisi de sortir du cercle vicieux, une fois le livre terminé. Nelly Arcan a réussi avec une corde au cou. Mais c’est un témoignage nécessaire dans le paysage érotique. Un testament troublant.
Le mariage de Danielle – Le Nismois
« Qu’il tarde à venir, le mariage annoncé, et que de lubricités le précèdent ! »
C’est souvent au sein de la bourgeoisie du XIXe siècle que les indécences et les obscénités entrent en scène ! Des assemblées à pénétrer, littéralement, dans des sociétés secrètes entre vices et orgies. J’enfile ma robe à tournure, mes pantalons en dentelle et une culotte fendue, bien sûr, pour m’assurer un maximum d’extase dans ce tourbillon de réjouissances lubriques.
Alphonse Momas, alias Le Nismois, signe un roman particulièrement scabreux et délicieux avec Le Mariage de Danielle. Exigeant. Endurant. Le style m’a invitée à être attentive, ne rien manquer. Participer au lieu de subir. Je râle, je me pâme, je jouis avec mes amis d’un ancien temps. Les situations sont parfois ubuesques, au bord d’une caricature qui rend les romans d’époques si fous. C’est l’érotisme dans les boudoirs. C’est la pornographie dans les groupuscules. Toujours la richesse de ces hommes dénués d’affect qui viennent jouir dans un entre soi décomplexé.
En lisant ce livre, le plaisir ne ment pas
Les photographies d’époque qui accompagnent le roman, sont aussi excitantes que délirantes. Grâce à elle, je n’ai pas seulement imaginé. J’ai vu. J’ai senti. J’ai trouvé où me positionner, et avec qui. J’étais à la fois la pucelle que l’on déflore, j’étais la vieille mondaine que son mari ne touche plus et qui a choisi d’être le centre d’une partouze sur des sofas en brocart.
Ce classique est alors une grande découverte ! La vulgarité qui côtoie le velours, le beau monde sali par la luxure. Un petit bijou d’histoire, et même si rien n’est novateur, c’est le plaisir, non coupable, de replonger dans une sexualité intemporelle. J’ai été transportée d’un lit à un autre, intégrant, partie prenante, ces organisations discrètes et infidèles. J’ai eu l’impression que c’était la vraie vie. Je pense que ça l’est. Mon plaisir ne ment pas.
Le prix de l’amour – Axel
Je n’ai jamais caché mon amour, aussi charnel que cérébral pour Axel. Commencé avec « La chambre de verre », j’ai suivi toute l’œuvre de cet auteur-illustrateur avec frénésie. Les thèmes controversés, peu explorés, laissés pour compte, surtout en littérature érotique, il les sublime. Ce dernier temps, l’âge l’intrigue. Le temps qui passe et le désir qui ne se lasse jamais vraiment ?
Ici, il est question de triolisme. D’un triangle sexuel où les héros ont cinquante ans. La beauté des planches me plonge dans un paradis vaporeux avec les tropiques et les lagons pour décor. Je suis dépaysée et toujours excitée de ce voyage où, j’en ai la certitude, il y a du sexe à foison. De l’orgasme et de l’impudeur. Mais surtout du vrai.
Un voyeurisme torride
Chez Axel, les personnages sont vrais. Des corps abîmés et fatigués au quotidien, mais vaillant pendant l’acte. Il y a des pénis en érection et des langues qui découvrent des peaux touchées cent fois. J’ai du mal à me projeter dans l’histoire de Valérie, j’ai du mal à être la partenaire de Joao, l’étalon désirable. Je reste voyeur tout au long de la lecture, ce qui ne tarit pas mon plaisir. Encore moins ma ferveur. Au contraire, je suis privilégiée, jouissant en silence tandis que Valérie paye ses amants pour un moment d’extase. Valérie n’a pas honte. Elle sait ce qu’elle est venue chercher dans cette île où luxure et sensualité surmontent la vieillesse. L’appétit et la soif de jouir.
Avec le trait sensible d’Axel, je me répare avec ses héros. Je les câline à ma façon, comparable à la leur. Il y a du cul. Beaucoup. Il y a de l’amour. Énormément. Même sur un temps très court, et, une fois encore, c’est la réalité qui me permet d’atteindre l’orgasme. De le partager, un jour, quand l’âge sera venu et que les chaînes de la société n’auront plus de prise sur ma libido.
Tous les petits cochons d’Ernest sont là.