Les littératures de l’imaginaire ne sont pas que des pavés de 600 pages. Loin de là. En revanche, depuis plusieurs années, il semble que les éditeurs, frileux en ces temps difficiles, ont fait le choix de ne pas ou peu publier de novella (et que dire des recueils de nouvelles). Cette catégorie pourtant phare de la SF internationale ne passe pas nos frontières ou si peu. C’est dans ce contexte que les éditions Le Bélial’ ont choisi de lancer Une heure-lumière. Une série de romans courts, puissants et définitivement liés à l’imaginaire. La parole à Olivier Girard, l’éditeur du Bélial’.
***
Ernest est un magazine littéraire en ligne généraliste. Pour ceux qui ne vous connaissent pas, pouvez-vous présenter Le Bélial’ ?
Les éditions du Bélial’ ont été fondées en 1996 autour d’un projet bien spécifique, celui d’une revue de science-fiction. Ainsi avons-nous publié, en avril 1996, le premier numéro de Bifrost. 22 ans plus tard, Bifrost est à ce jour la plus ancienne revue française consacrée aux littératures de genre en activé : le numéro 90, centré autour d’un énorme dossier consacré à Edmond Hamilton, sortira le 26 avril prochain. En 1996 (outre Cyberdreams, qui ne durerait malheureusement que le temps de 12 numéros), il n’y avait pour ainsi dire aucun support périodique convenablement diffusé à même d’accueillir auteurs français et étrangers, débutants et écrivains confirmés, tout en proposant au lecteur, chaque trimestre, un volet critique quasi exhaustif, de haute tenue et exigeant. Nous avons vite fait évolué la revue autour de dossiers, thématiques ou d’auteurs, et aujourd’hui, Bifrost est exactement ce que je rêvais qu’elle soit au moment de son lancement, à savoir une encyclopédie permanente de la science-fiction mondiale mariant auteurs classiques et nouvelles tendances, études de fond, récits inédits, actualité et approche historique et patrimoniale. Parallèlement à Bifrost, dont nous publions quatre numéros par an, nous avons très tôt décliné diverses collections de livres, romans, recueils et anthologies, avec — revue oblige ! — un goût tout particulier pour la nouvelle et les courts romans, des distances que je considère comme l’absolue référence en matière de science-fiction. Nous publions de fait pas mal de recueils, quand bien même ce n’est pas ce qu’il y a de plus simple à vendre aux lecteurs francophones, en proposant, comme dans Bifrost, une politique éditoriale alliant le patrimonial et les auteurs fondateurs (Jack Vance, Poul Anderson, Robert Silverberg, etc) à la crête de la SF moderne (Greg Egan, Peter Watts, Ken Liu…). Aujourd’hui, notre catalogue compte pas loin de 300 références, pour un rythme de publication tournant autour d’une quinzaine de titres par an.
Vous avez lancé en 2016 une nouvelle collection dédiée aux romans courts. Ce genre de romans n’est pourtant pas le plus en vogue parmi les lecteurs de l’imaginaire. Était-ce un risque calculé ?
Autant que possible, oui. La collection Une heure-lumière est la concrétisation d’un très vieux projet : la création d’un espace éditorial francophone dédié aux courts romans ; ce que les américains appellent la novella, des textes d’une longueur à mi-chemin entre le roman et la nouvelle, un format historiquement très prisé dans le monde anglo-saxon, spécialement dans le champ de la littérature de genre, et totalement (ou presque) ignoré en France. Nombre de mes plus belles émotions littéraires sont liées à des textes de ce format, la plupart de mes auteurs préférés s’expriment sur cette distance, et il y avait une grande frustration à peiner à proposer ces textes en français, faute d’espace où pouvoir les publier (car trop longs pour un sommaire de revu, et trop courts pour constituer un roman « classique »). Une frustration aiguisée par la conscience du vivier de textes à disposition (souvent lauréats de prix littéraires prestigieux, qui plus est), une source quasi inépuisable, et pourtant impubliable, faute de support. J’ai beaucoup hésité. Vraiment. Parce qu’il fallait inventer le format, proposer quelque chose de nouveau, et on sait combien la nouveauté, par définition, c’est hasardeux. Même au niveau des contrats, cela posait des soucis, tant les agents littéraires n’étaient pas habitué à travailler les droits de ce genre de texte à l’export. On a aussi beaucoup réfléchi à la forme de l’objet livre que nous pourrions proposer. Je savais que les bouquins feraient entre 100 et 160 pages en général (parfois un poil moins, parfois un peu plus). Et que nous ne pourrions les vendre au-delà de 10 € (sous leur forme imprimée, en tout cas), sans pour autant pouvoir les proposer à moins de 7 € — en dessous , on ne pourrait pas tenir, surtout avec des traductions. Bref, l’enjeu était de trouver l’équilibre entre prix de vente et qualité de l’objet proposé. On a fait pas mal d’imprimeurs. Beaucoup de devis et de négociations avant de trouver quelque chose d’économiquement viable. Au-delà de la résolution des problèmes juridique et de coût de fabrication, plusieurs choses m’ont finalement décidé. J’ai d’abord constaté un certain ras-le-bol d’une frange du lectorat vis-à-vis des énormes pavés qui se généralisaient en librairie. J’ai aussi remarqué, en observant les habitudes du jeune lectorat (notamment mon fils, qui a 18 ans), que ce dernier éprouvait la même satisfaction personnel après la lecture d’un bouquin de 150 pages ou de 550. Une fois le bouquin fermé, il était rangé dans la bibliothèque avec le même sentiment valorisant : « Voilà, j’ai fini un roman. » Et puis je me suis dit que pour le Bélial’, ce genre de collection pourrait permettre de « tester » certains auteurs, inscrire à notre catalogue de nouveaux noms, souvent prestigieux, enrichir notre fonds et préparer la publication de futurs recueils et romans avec des auteurs de fait déjà « travaillés » au Bélial’. Pareillement, à l’inverse, une telle collection permettrait d’entretenir une actualité sur des auteurs maisons sans se lancer dans de grosses traductions liées à de gros romans ou des recueils complets. Enfin, pour une maison qui publie beaucoup de nouvelles, une revue, des recueils, finalement, proposer une collection de novella, eh bien c’était assez cohérent. Bref, à force de retourner ce projet dans tous les sens pendant une dizaine d’années (je suis têtu, et pas pressé !), j’ai commencé à y voir plus d’avantages que d’inconvénients. Début 2016, profitant des 20 ans d’existence du Bélial’, on a finalement lancé Une heure-lumière avec quatre titres signés Thomas Day, Nancy Kress, Vernor Vinge et Paul J. McAuley.
Il y a beaucoup de traductions dans cette collection qui compte une douzaine de textes et deux romans courts francophones seulement. Quelle en est la raison ?
Comme je l’ai dit, ce format de texte est typiquement anglo-saxon. Du coup, trouver ce genre de récit en français est pour ainsi dire impossible. Ceci étant, il était très important pour nous d’affirmer notre envie, notre besoin, même, en terme économique, de publier des auteurs francophones en Une heure-lumière. J’ai demandé à Thomas Day de travailler sur ce format, une distance qu’il affectionne naturellement, et j’ai absolument tenu à proposer son court roman, Dragon, dans le lancement de la collection. Une manière d’affirmer que oui, bien entendu, Une heure-lumière proposerait surtout des auteurs anglophones, mais pas que. Deux ans après le lancement de la collection, je constate d’ailleurs qu’elle suscite pas mal d’envie chez les auteurs francophone, et c’est pour moi l’un des plus chouettes symboles de la réussite d’Une heure-lumière.
Vous défendez également, et depuis longtemps, la nouvelle au sein de votre magazine Bifrost. Considérez-vous qu’elle est, à l’instar du roman court, abandonnée par le milieu de l’édition ?
Je ne dirais pas abandonné, non, ne serait-ce qu’au regard du travail que nous développons au Bélial’ au sein de nos diverses collections, notamment Quarante-Deux, ou, effectivement, avec Une heure-lumière ou dans les pages de Bifrost. Mais déconsidérée, oui, sans doute. Or, nouvelles et novellas sont les moteurs de la SF et du fantastique mondial. Enlevez les nouvelles, et vous perdez Poe, Lovecraft, C. A. Smith, les cycles des Robots et de Fondation d’Asimov, Hypérion de Dan Simmon, qui est un assemblage de novellas, les « Elric » de Moorcook, l’essentiel (et le meilleur) de l’œuvre de Lucius Shepard, tout Ted Chiang, le meilleur (à l’heure actuelle) de Ken Liu, ce que je préfère de Greg Egan, mon livre favori de Stephen King (Différentes saisons), Les Seigneurs de l’instrumentalité de Cordwainer Smith, Les Galaxiales de Michel Demuth, etc. C’est bien simple : si vous enlevez les textes courts, vous pouvez enlever tout ou presque de la littérature de genre. L’édition française, les auteurs, les lecteurs doivent se réapproprier la forme courte. À mon sens, il y va du devenir de nos genres en langue française…
Une heure-lumière, c’est beau comme titre de collection…
Oui. Né dans l’esprit du meilleur nouvelliste français de sa génération, Serge Lehman. Grand amateur de novellas et avec qui j’ai de nombreuses fois discuté de cette collection au tout début de sa gestation. On en rêvait souvent, de cette collection. Une nuit arrosée, enfumée, très tard (ou tôt, comme on veut), il m’a suggéré ce titre. Le lendemain, j’avais plus ou moins oublié la totalité de notre conversation, mais pas ce titre : Une heure-lumière. Une quinzaine d’années après cette soirée, lorsque j’avançais dans la concrétisation de la collection, je lui ai demandé le droit de l’utiliser. Il a accepté. La boucle était bouclée.
***
Outres les choix éditoriaux, il faut avouer que la collection a droit à un écrin de toute beauté : une maquette soignée et des couvertures réalisées par Aurélien Police. De quoi apprécier comme il se doit la novella en une heure-lumière.
L’avant-dernière sortie de la collection fait la part belle à un auteur français, Laurent Kloetzer. Issa Elohim, c’est l’histoire d’un futur qui n’a, hélas, rien à envier à notre présent. Une enquête au cœur d’un système. De ce système où les extra-terrestres sont les migrants d’aujourd’hui. Où Issa est la figure christique de notre société humaine en mal d’avenir et de son besoin de croire au-delà de la raison parfois.
Mais croire, c’est également donner une consistance à ce qui n’existe pas, donner un nom aux choses, aux vivants. Se voir exister dans le regard de l’autre en étant autre chose qu’un étranger.
Issa Elohim de Laurent Kloetzer : 128 pages / ISBN : 978-2-84344-930-7 / 8,90€