Les "lettres à Anne" de François Mitterrand viennent de sortir en Folio, celles de Camus et Casarès sont toujours parmi les meilleures ventes, et un livre récent "Amours solitaires" répertorie la correspondance amoureuse à l'heure d'internet. Occasion rêvée pour se plonger dans ces correspondances. Et s'interroger : le SMS est-il une lettre d'amour ?
A l'heure du SMS, de WhatsApp, et des sextos, se plonger dans les correspondances amoureuses de personnages célèbres est un véritable moment d'intensité. Comment les amoureux hier s'écrivaient-ils ? Comment se parlaient-ils ? Et surtout, comment géraient-ils cette attente de la lettre qui va (ou non) arriver ? Guettaient-ils fébrilement le facteur chaque jour ? Comment ouvraient-ils la lettre ? Toutes ces questions affleurent et imprègnent la lecture des deux dernières grandes correspondances publiées : celle de d'Albert Camus avec sa maîtresse Maria Casarès et celle de François Mitterrand avec sa maîtresse Anne Pingeot, avec laquelle il aura une fille : Mazarine. Ce qui est aussi très puissant pour le lecteur de 2018 est l'interrogation qui naît autour de ce qu'est aujourd'hui la correspondance avec les autres, et plus particulièrement avec les amoureux et amoureuses. La lettre avait ceci de puissant qu'elle oblige l'auteur -qu'il soit connu ou non - à poser ses mots. A les choisir avec précision et délectation pour que ceux-ci restent. L'autre interrogation qui affleure est la suivante : de telles correspondances sont-elles aujourd'hui, encore, imaginables ?
[caption id="attachment_13458" align="aligncenter" width="548"] Le SMS est-il une lettre d'amour ?[/caption]
« Savoir qu'on écrit pas pour l'autre, savoir que ces choses que je vais écrire ne me feront jamais aimer de qui j'aime, savoir que l'écriture ne compense rien, ne sublime rien, qu'elle est précisément là où tu n'es pas – c'est le commencement de l'écriture », écrivait Roland Barthes dans son célèbre "Fragments d'un discours amoureux". Barthes ne suggérait certainement pas le cas de la correspondance amoureuse qui contredit en tout point son propos sur la création engendrée par l'amour, si ce n'est au sujet du dogme indissociable à une lettre d'amour : l'absence de l'autre. Je t'écris ici, précisément là où tu n'es pas. C'est ainsi qu'aurait pu commencer chacune des lettres d'Albert Camus, de Maria Casarès ou de François Mitterrand à Anne Pingeot.
Il est toujours surprenant de découvrir des hommes et des femmes – connus au gré de leurs livres, leur vie, leurs visages et leurs discours – en personnages de papier. A la lecture de la Correspondance de Camus et Casarès ou des Lettres à Anne de Mitterrand, on les découvre aussi dans leur plus grande sensibilité. Ils sont épris d'amour. Certes ils sont écrivain, actrice et politicien mais ils deviennent au sein de ces considérables regroupements de lettres les sujets d'une romance, les narrateurs d'histoires singulièrement passionnées.
Dès l'ébauche de cette lecture vient le plaisir d'être plongé dans les intimes échanges d'amoureux fait (pour nous) de lettres. On est alors balancés entre le positionnement de ces hommes et femmes dans la véritable histoire, leur art ou leur actes mais aussi – et c'est ainsi que la puissance de l'écrit se révèle – à les considérer comme des personnages à part entière. Il ne faut pas se méprendre, ce sont bien de véridiques correspondances où rien n'est romancé. En voilà l'irréfutable preuve : de telles histoires d'amour ne sauraient se laisser inventer même par les meilleurs menteurs. La particularité de ces amours tient certainement à cela : ils ont existé dans la simple beauté qui paraît dans l'écriture de leur flamme, leur inquiétude, leur effervescence.
Une histoire vraie ?
Pris par la puissance de cette vérité, de cette authenticité, le lecteur est alors plongé dans une envie d'investigation. Ces lettres non choisies dans leur agencement – car seulement guidées par la distance qui sépare les amants et l'épanouissement de leur amour – conduisent à une sorte d'irrégularité du récit, des blancs, des concordances à des évènements que l'on connait déjà de leur vie. Lorsque Camus part aux Amériques à l'été 1949 on perçoit un autre périple que celui qu'il décrit dans ses Journaux de voyage. Ici les conférences et rencontres qu'il y fait sont amenuisées par l'effroi qu'il ressent loin de l’actrice espagnole. De même que la promotion du Coup d'état permanent publié en 1964 chez Plon par Mitterrand ne doit pas présenter les mêmes aspects dans les Lettres à Anne que celle que ses contemporains ont pu faire.
[caption id="attachment_12839" align="alignleft" width="250"] "Correspondance (1944-1958)", Albert Camus & Maria Casarès[/caption]
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