“Jusqu’à présent le terme de réfugié évoquait l’idée d’un individu qui avait été contraint à chercher refuge en raison d’un acte ou d’une opinion politique. Or, s’il est vrai que nous avons dû chercher refuge, nous n’avons cependant commis aucun acte répréhensible, et la plupart d’entre nous n’ont même jamais songé à professer une opinion politique extrémiste. Avec nous, ce mot « réfugié» a changé de sens. On appelle de nos jours «réfugiés» ceux qui ont eu le malheur de débarquer dans un nouveau pays complètement démunis et qui ont dû recourir à l’aide de comités de réfugiés.” Ces mots, forts, puissants et d’actualité ne sont pas récents. Ils datent de 1943. Déjà, la question du mots “réfugiés” est posée. Se réfugier, étymologiquement, c’est fuir en rebroussant chemin. Ce n’est pas exactement ce que faisaient les réfugiés de 1943, ni ce que font actuellement les réfugiés de l’Aquarius, par exemple. Loin de nous l’idée de comparer des situations incomparables historiquement.
Changer de lunettes
Ce qui est en revanche comparable, c’est notre regard à nous sur les réfugiés. En les qualifiant ainsi, nous optons déjà pour une signification. Certes, ils sont réfugiés. Mais nous sommes tous réfugiés de quelque chose. Les réfugiés de l’Aquarius ne fuient pas en rebroussant chemin. Ils s’exilent. Ils sont contraints à l’exil. Tiens, l’exil. C’est aussi dont nous parle Jérôme Attal dans l’entretien qu’il nous a accordé. “Dans les années 30, Paris est la capitale de l’exil. Et l’exil fait beaucoup de l’appétit de vie de ces années là“, nous dit-il. Voilà un souvenir qui peut nous aider à y voir plus clair aujourd’hui. Comme le livre d’Emilie de Turckheim dont nous vous avons déjà parlé ici dans lequel elle raconte l’arrivée de Reza chez elle. Au fond, ce qui semble être crucial sur cette question, c’est de changer – non pas nos yeux – mais de chausser de nouvelles lunettes. Et au lieu de “réfugiés”, dire peut-être : “frères” en humanité. Comme les mots ont un sens, notre perception de la question changera forcément. Ah, j’oubliais. Les mots qui sont au début de ce texte sont signés Hannah Arendt.