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Rêve commun

Ernest Mag Equipe France

Fait marquant : cette semaine, la poésie s’est invitée dans le foot. Cette poésie elle est venue de Paul Pogba. « La France aujourd’hui c’est une France avec plein de couleurs. C’est ça qui fait une belle France avec une belle couleur. Nous sommes tous français avant tout et nous sommes heureux de porter ce maillot », a déclaré poétiquement le milieu de terrain de l’équipe de France alors qu’un journaliste l’interrogeait sur l’analogie entre ces Bleus de 2018 et ceux de 1998 qui furent surnommés l’équipe « Black Blanc Beur » et qui devinrent à leur corps défendant le symbole d’une intégration réussie rattrapée sans vergogne par les politiques et intellectuels de l’époque.

En 20 ans, la France a énormément changé. Quatre ans après la victoire de 1998, Jean-Marie Le Pen accédait au second tour de l’élection présidentielle. A cette France bigarrée et joyeuse se substituait une France craintive.
Au fond, nous savons bien que l’engouement national autour de cette équipe symbole de l’histoire de notre République est éphémère et ne règle pas les maux de notre société… Bien sûr, leurs salaires dérangent et sont mêmes indécents… Et pourtant… le pays vibre pour cette équipe aux couleurs de nos quartiers, il aime leurs exploits, le phrasé unique du coach et l’humilité d’un Kanté. Alors oui si les Bleus décrochent la deuxième étoile ce dimanche, le temps d’une soirée, d’une semaine, d’un été, la France sera rassemblée de Lens au 93 et de Marseille à Brest. Et pour longtemps autour de ce souvenir commun.

Car au fond c’est bien de cela qu’il s’agit. L’engouement de 1998, les envolées lyriques sur l’intégration réussie dans une France « Black, Blanc Beur » ou le sentiment actuel de communion collective ont le même fond. Cela démontre une envie folle des Français d’être ensemble ,peu importe que l’on soit blanc, noir, juif, arabe, asiatique, homme ou femme. Cette victoire de 98 comme, peut-être, celle de 2018 portera inévitablement cela en elle. En 1998, les intellectuels français comme Finkielkraut avaient jugé qu’il était incroyable que des gens descendent dans la rue pour communier autour du foot… Réaction qui témoignait d’une grande ignorance de la portée symbolique du sport et du foot en particulier.

Construire et écrire le commun

Ce qui disait la victoire de 1998 et ce que disent déjà les scènes de liesse de cet été 2018 ainsi que la déclaration de Pogba, c’est le besoin collectif d’une chose plus grande que nous, d’une ampleur qui nous dépasse. En 1998, la France gagnait enfin. Nous étions rassemblés autour de ce symbole. Pas pour longtemps, mais le temps d’un été enchanté où l’on chantait « La La La La La La La » sur l’air d’ « I Will Survive. » Si ce dimanche, les Bleus de Deschamps rééditent l’exploit, il faudra le vivre pleinement. Sans retenue. Sans penser que cela ne vaut pas le coup. Sourire et communier tous ensemble en chantant la Marseillaise à intervalles réguliers est un moment précieux. De ces moments qui nourriront forcément, demain, des livres de fictions. Des romans où cette toile de fond joyeuse et historique viendra se mêler et influer sur la « petite » histoire des personnages.

Ce qui est frappant dans cette capacité du sport à créer du collectif un tantinet irrationnel, c’est qu’il vient titiller un besoin profond dans notre société. Or, ceux qui hier créaient aussi ce collectif : politiques, journalistes, romanciers, artistes etc… ont peut-être – un peu – perdu de leur superbe pour participer à la création de ces élans collectifs. La leçon de 1998, celle – poétique – de Pogba cette semaine, celle de la liesse des 1/2 finale et peut-être de la victoire ce soir est donc la suivante : les gens ont besoin de collectif, d’un imaginaire commun et d’un élan. Cela pour rêver ensemble pour peu que les rêves restent à la bonne place comme le rappelait Robert Desnos. C’est une belle mission pour les politiques, mais aussi les artistes, notamment auteurs, qui sont les constructeurs de ces communs.

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