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Mosaïque humaine

Mosaique

C’est un matin d’automne. Scooter dans Paris. Tourner la poignée d’accélérateur, passer entre les voitures. Après quelques notes de musique dans le casque, une voix. Avec un délicieux accent. Le plus beau. Celui des Italiens qui se sont mis depuis longtemps à parler en français et qui gardent malgré tout le chant de leur langue maternelle. Première sensation de beauté.

La deuxième surgit au détour de l’entretien que cet homme mûr livre à France Inter. « On est un ensemble de toutes les personnes que l’on a aimées, des livres qu’on a lus,  des films que l’on a regardés, des voyages que l’on a fait,  des amours que l’on a eus. On est ça. Et ce génie qu’était José Luis Borgès écrivait que la vie était suspendue entre le souvenir et l’oubli. On se souvient de tout ça, et on l’oublie aussi. On l’a oublié, mais nous l’avons dedans, à l’intérieur de nous. Et cela sort, et c’est magnifique, c’est même je crois une petite immortalité. »

Cinquante secondes de radio, cinquante secondes qui ouvrent des portes. Des milliers de portes. Par ces quelques mots justes, l’architecte Renzo Piano ouvre des possibles et donne  matière à réflexion pour la journée, pour la semaine, et même pour les éditos du dimanche.
Dans ce que livre Renzo Piano rien de révolutionnaire. Juste un essentiel. Peut-être même l’essentiel de ce qui constitue la vie d’un être humain. Des rencontres, des amours, des livres, des films, de l’art. Ce qui, au plus profond, de chacun pousse afin d’élever et de façonner les êtres que nous sommes et que nous devenons chaque jour. Songer aux notes de musiques, aux scènes de films, aux rencontres, aux amours. Kaléidoscope d’images, de sons, de sensations, de beautés, de bons, de biens qui jalonnent la vie d’un être. Du banania de l’enfance à la tourbe d’un whisky, des bras de maman aux bras des aimées.

Des mots essentiels car ils disent l’importance de l’Autre, de son regard et de son apport dans ce que nous sommes. « Alone together » chantait Chet Baker. Chacun est seul et unique mais personne ne peut se construire seul, sans les autres et sans ce qu’ils acceptent de lui donner.  Des mots essentiels qui racontent la magie des amours attendus et inattendus. Ceux qui chamboulent, qui bouleversent, qui taillent la pierre que chacun constitue.

Pour lui donner de nouvelles aspérités. Des mots qui narrent aussi la force de ce que l’art et sa beauté peuvent faire de nous. « Que reste-t-il de la vie à la fin de la vie ? Une nuit d’été en Italie, quelques notes de musique, un sourire échangé, une page d’un livre, un poème, une faute avouée, un remords ? » interrogeait Ernest Hemingway comme dans un écho aux mots de Renzo Piano l’autre matin.Les mots de Piano disent un autre essentiel. L’un de ceux que d’aucuns tentent aujourd’hui de faire oublier. Ils racontent la multiplicité des choses qui façonnent l’identité d’un être. Cet identité qui – forcément – est multiple, pleine de contradictions autant que de cohérences. « We countain multitudes », chante un autre prix Nobel de littérature. Cette identité que par facilité, ou pis afin de défendre un projet politique de séparation, d’aucuns espèrent faire une unité. Une seule.  « Tu es çi, tu es ça ». Jamais « tu es tout cela ».

Dans les réflexions du jour, de la semaine, du dimanche, une autre idée qui résonne. Celles et ceux qui se rêvent qui revendiquent et qui imposent une identité unique se trompent sur le sens d’un mot. Le mot de « commun ». Certes, il sonne de l’unicité. « Comme 1 ». Mais ce qu’il signifie est tout autre. Ce qui est commun, c’est ce qui est partagé avec d’autres. Comment donc les tenants d’une identité unique peuvent-ils donc faire du commun ? Aucun commun n’est possible avec celles et ceux qui se revendiquent de la mono identité. En revanche, le commun est possible à partir du moment où un multiple et une multitude existent. Mosaïque totale de nos êtres et donc de notre identité.

Quand une phrase avec un accent italien suscite autant de réflexions, on peut penser qu’elle constitue un grand moment de radio autant qu’un grand morceau d’architecture philosophique.

Bon dimanche,

PS : L’entretien avec Renzo Piano est là.

Tous les éditos d’Ernest sont là.

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