A la rentrée les yeux et les oreilles sont aiguisés. Ils furètent. Ecoutent. Savourent, s’amusent et désespèrent aussi.
Sensible ta mère !
Débat entre le prix Goncourt 2018, Nicolas Mathieu, et l’auteur Kevin Lambert qui figure dans la première liste du prix Goncourt 2023. L’éditeur de Lambert se vante sur les internets d’avoir accompagné l’auteur d’un « sensitivity reader », ces personnes qui travaillent avec les éditeurs et les auteurs pour lisser le langage et s’assurer que rien dans le livre ne viendra choquer les juifs, les noirs, les ronds, les grands, les nuages, les jaunes ou les bleus. Mathieu a réagi en soulignant, avec justesse, qu’il considérait que cette pratique mettait en danger la littérature et cet espace d’expression qui n’est pas « un dû ni un état de fait, mais une conquête fragile ». “Réactionnaire”, a répliqué Lambert. Se ranger du côté de Mathieu. Se demander à quel moment la bêtise a, à ce point, gagné nos cerveaux pour que l’on se dise que la quintessence de l’art serait de « surtout ne pas choquer » et de ne « rien » bousculer. Tiens, d’ailleurs, cette polémique résonne avec un roman fable superbe à paraître prochainement, signé de l’excellente Tania de Montaigne, dans lequel elle imagine une maison d’édition, nommée « Feel Good ». Dans cette maison : les manuscrits sont auscultés au scalpel pour que plus personne ne soit heurté dans sa sensibilité. Le propos est jouissif. Délicieusement drôle. Nous en reparlerons. Comme une façon de s’amuser de cette dérive imbécile et de faire sourire là où Nicolas Mathieu fait réfléchir.
Corans brûlés
Le Danemark vient d’adopter une loi qui interdit l’autodafé des Coran et de tout autre texte sacré, rétablissant ainsi un délit de blasphème. Charlie Hebdo se mobilise et dans un appel solennel et bien senti alerte tous les humanistes à se mobiliser. Non pas pour autoriser les autodafés de Coran. Mais pour ne pas introduire une dimension sacrée dans la loi. « Arrêter de bruler le Coran, lisez -le, vous allez vous marrer », s’amuse d’ailleurs l’hebdomadaire. Il eût été plus simple, plus fort et surtout moins problématique pour l’ensemble de l’Europe, de produire une loi sur l’interdiction des autodafés, tout simplement. Bref, vigilance toujours. Sans baisser la garde. Lire le limpide Richard Malka dans le Monde : “aux termes de la nouvelle loi danoise, l’on pourra hurler des insultes contre Mahomet, dessiner Allah dans les pires situations outrageantes, écrire de violents pamphlets sur le Coran, mais pas le brûler. Nul doute d’ailleurs que ces moyens d’expression restés licites se multiplieront pour jouer avec l’interdiction et en démontrer l’absurdité. Je ne vois pas comment l’on peut juridiquement traiter différemment des moyens d’expression. L’incohérence est totale et, même sous l’angle des promoteurs de cette loi, le remède envisagé sera pire que le mal qu’il entend combattre.”
Il poursuit : “Le second message de cette loi, c’est qu’il existerait non seulement une obligation au respect des religions – au nom de quoi ? –, mais que celle-ci l’emporterait sur la liberté de critique. Autrement dit on en reviendrait, pas à pas, à une loi de Dieu supérieure à celle des hommes. Le pire de ce projet, c’est de légitimer l’idée que des attaques contre la religion puissent être sanctionnées par l’incarcération.”
Ovale
L’ovalie semble avoir gagné la bataille culturelle alors que la Coupe du Monde de Rugby vient de démarrer dans une euphorie totale. Se réjouir des scènes de liesse. Regretter quelques images de la cérémonie d’ouverture célébrant une France un poil rance. S’interroger sur l’engouement national sur les « valeurs du rugby ». Assister à une forme de rugby washing dans les entreprises, dans les discours gouvernementaux. Dans les « valeurs du rugby », il y a notamment la sincérité et l’authenticité. Il faudrait le rappeler à tous ceux qui s’en réclament. Et se prendre à rêver : dans le rugby, et dans sa genèse, il y a l’idée de transmission d’une histoire, celle de l’alliance du corps et de l’esprit, mais aussi l’idée que seul on ne peut rien et qu’ensemble, on peut tout. Cette fraternité comme ciment d’une équipe. Fraternité comme ciment d’une équipe. Cela aussi, il faudrait, peut-être, plutôt que de surfer sur la mode rugby avec des discours, tâcher de le rendre concret et tangible. Car si le XV de France l’emporte, ce que chacun souhaite, il ne faudrait pas revivre l’illusion « black, blanc, beur » de 1998 grimée cette fois-ci en « solidarité, fraternité, sincérité », dans une société où les pratiques en cours sont plutôt « charité, division, et duplicité ». Y veiller pour ne pas dénaturer l’esprit rugby, le vrai, lui.
Discussion
Manger seul. Écouter les discussions des voisins de tablée. Trois hommes. Ils rient. Ils dissertent de politique, des bouquins et des femmes. Les leurs, les autres, aussi. Ils parlent à mots feutrés. Des femmes aimées. Des rencontres. Des acrobaties de la vie. L’un d’entre eux parle plus bas. Il confie à ses deux amis : « le vrai souci c’est lorsque tu tombes amoureux. Parce que cela peut faire très mal, trop mal. » Se dire que cette phrase pourrait être l’incipit d’un roman.
Bon dimanche,
L’édito paraît le dimanche dans l’Ernestine, notre lettre inspirante (inscrivez-vous c’est gratuit) et le lundi sur le site (abonnez-vous pour soutenir notre démarche)
Tous nos éditos sont là