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4000 ans de galoches !

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4000 ans ! Un article paru jeudi 18 mai dans la revue Science vient bousculer toutes nos certitudes. En effet, selon l’historien spécialiste des civilisations du Proche-Orient ancien Troels Pank Arboll et la biologiste Sophie Lund Rasmussen, des embrassades – sous forme sexuelle ou romantique – auraient eu lieu en Mésopotamie dès le quatrième millénaire avant notre ère. Jusqu’ici l’état de la connaissance faisait du baiser d’amour un petit jeunot de 2500 ans. Il est au contraire un vieux de 4000 ans tout en étant, toujours et encore, au cœur de ce qui meut les amoureux et les amoureuses.

Dans cette nouvelle, au-delà du clin d’œil, l’importance du baiser entre les amoureux. Embrasser, prendre et serrer dans ses bras, étreindre, biser, sauter au cou, se galocher, donner un bec, se bécoter, rouler une pelle, se sucer la pomme, se rouler un patin. Voici quelques synonymes du verbe et du mot embrasser. Embrasser, cela veut aussi dire : adopter, épouser, prendre, faire sien, accepter, couvrir et englober, selon le Petit Robert si cher au défunt Alain Rey. Étreindre, serrer dans ses bras, rouler une pelle. Il y a 4000 ans, déjà, les êtres humains pour se dire qu’ils tenaient les uns aux autres se roulaient des pelles et ressentaient l’envie de le représenter.
Une nouvelle qui pourrait paraître anodine, mais qui illustre ce besoin profondément humain de s’embrasser et de s’étreindre. La revue Science, donc. Mais aussi la littérature. Depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui.

“Sais-tu d’où vient notre vraie puissance ? Du baiser, du seul baiser ! Quand nous savons tendre et abandonner nos lèvres, nous pouvons devenir des reines. Le baiser n’est qu’une préface pourtant. Mais une préface charmante, plus délicieuse que l’œuvre elle-même, une préface qu’on relit sans cesse, tandis qu’on ne peut pas toujours… relire le livre. Oui, la rencontre des bouches est la plus parfaite, la plus divine sensation qui soit donnée aux humains, la dernière, la suprême limite du bonheur. C’est dans le baiser, dans le seul baiser qu’on croit parfois sentir cette impossible union des âmes que nous poursuivons, cette confusion des cœurs défaillants”, écrit par exemple, avec volupté Guy de Maupassant dans son texte dédié au baiser.

Zola dans “la faute de l’Abbé Mouret” en attrape une autre dimension. Celle du premier baiser d’amoureux. Ce premier baiser qui vient clore pour un temps un jeu et une attente. “Et ils s’arrêtèrent, frémissants de ce premier baiser. Elle avait ouvert les yeux très-grands. Il restait la bouche légèrement avancée. Tous deux, sans rougir, se regardaient. Quelque chose de puissant, de souverain les envahissait ; c’était comme une rencontre longtemps attendue, dans laquelle ils se revoyaient grandis, faits l’un pour l’autre, à jamais liés. Ils s’étonnèrent un instant, levèrent les regards vers la voûte religieuse des feuillages, parurent interroger le peuple paisible des arbres, pour retrouver l’écho de leur baiser. Mais, en face de la complaisance sereine de la futaie, ils eurent une gaieté d’amoureux impunis, une gaieté prolongée, sonnante, toute pleine de l’éclosion bavarde de leur tendresse.”

Violette Leduc dans Thérèse et Isabelle : “Isabelle me tira en arrière, elle me coucha en travers de l’édredon, elle me souleva, elle me garda dans des bras, elle me sortait d’un monde où je n’avais pas vécu pour me lancer dans un monde où je ne vivais pas encore : les lèvres entrouvrirent les miennes, mouillères mes dents que je serrais. La langue trop charnue m’effraya : le sexe étrange n’entra pas. J’attendais absente et recueillie. Les lèvres se promenaient sur mes lèvres : des pétales m’époussetaient. Mon cœur battait trop haut et je voulais écouter ce scellé de douceur, ce frôlement neuf. Isabelle m’embrasse, me disais-je. Elle traçait un cercle autour de ma bouche, elle encerclait le trouble, elle mettait un baiser frais dans chaque coin, elle déposait deux notes piquées, elle revenait, elle hivernait. Mes yeux étaient gros d’étonnement sous mes paupières, la rumeur des coquillages trop vaste.”

La liste pourrait encore s’allonger  – Belinda Cannone en a même tiré un livre exquis dont ces extraits sont issus « Le goût du baiser » – et prendre la forme d’une diffusion sur grand écran comme dans Cinéma Paradiso. Dans ce magnifique film de Giuseppe Tornatore avec Philippe Noiret, un petit garçon devient ami avec un vieux monsieur qui est machiniste dans un cinéma d’une petite bourgade italienne. Ce sont les années 50 et le clergé veille. Du coup, Noiret avant de diffuser les films est contraint de couper les scènes de baisers langoureux entre les amoureux. Vade retro la tentation. Quelques années plus tard, le petit garçon devenu grand visionne dans une seule bobine tous les baisers coupés au montage. Son visage est radieux. Il se délecte de ces scènes si célèbres censurées et pourtant si belles, si douces, si sensuelles.

Le baiser est un langage, en somme. Universel, amoureux, amical, fraternel, familial. Le baiser en tant que tel, évidemment, mais aussi le simple fait de “s’embrasser” au sens de se donner l’accolade ou de s’enlacer. Il y a 4000 ans, pour se dire qu’ils s’aimaient, nos ancêtres se galochaient. Peut-être même qu’ils le faisaient bien avant. Dès la naissance de l’humanité. Mais aucune preuve scientifique ne l’atteste pour le moment. Quoi qu’il en soit, ce baiser est comme un fil invisible qui vient du passé pour tendre vers l’avenir. Chers ami (e) s qui nous lisez au fond de votre lit ou ailleurs, que cet édito puisse agir sur vous comme un délicat baiser d’amour.

Bon dimanche,

Crédit photo : DM.

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