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Choses vues

Joanna Kosinska B6yDtYs2IgY Unsplash

Observer. Noter. Entendre. Ouvrir son oreille et son cœur aux soubresauts du monde et de la vie. Prendre des notes. Avoir l’envie et le besoin de les partager ce matin.

Inconsolable.
Il avait 16 ans. Il est mort en s’interposant dans une rixe entre lycéens. Il s’appelait Tidiane Indicible. Il avait 23 ans, il s’appelait Ilan Halimi. Il avait été enlevé un 20 janvier avant d’être séquestré puis tué par des antisémites. Indicible toujours. Inconsolable. Dans son dernier essai “Inconsolable”, la philosophe Adèle Van Reeth raconte ce moment de la perte d’un être cher ainsi que la façon de se reconstruire. Elle nous dit, notamment, que c’est en acceptant de passer par l’étape qui consiste à accepter d’être inconsolable qui permet d’acter la perte. En actant cela, le fait d’être inconsolable de la mort d’un proche ou d’un citoyen français, alors nous nous permettons de regarder à nouveau l’horizon. Outil pour penser. Outil pour survivre. Outil pour être incomplet, individuellement et collectivement, dans le monde. Elle raconte également comment l’art est un outil essentiel dans la reconstruction de l’être nouveau que nous devenons suite à la perte. Garder ces deux messages. Penser à l’ami disparu. Penser aux copains de Charlie. Penser au 13 novembre.

Lecteurs sensibles.
Un article du Monde nous apprend que les maisons d’éditions américaines mais aussi françaises engagent des “sensitive readers” avant de publier des romans. Leur rôle ? Traquer tout ce qui pourrait heurter notamment dans la description des “minorités” ou des mauvais sentiments humains. Se demander comment la littérature pourra survivre à cela. Comment imaginer que la littérature et par delà la littérature l’art en général puisse être gouverné par des baromètres de sensibilité. Le but d’un livre n’est-il pas justement de bousculer le lecteur ?
S’interroger et vous interroger dans le fond de votre lit sur ces nouvelles normes. Sur ces nouveautés qui se croient modernes et qui, en fait, constituent les piliers de l’avènement d’un monde corseté dans lequel l’art sera moins libre. La littérature peut-elle survivre à la tyrannie des bons sentiments ?

Un Nobel en musique
Entendre une discussion. Quelques personnes. Des connaissances plus que des amis sont attablés. Des hommes et des femmes de 40 ans environ. L’un d’entre eux est pétri d’une certitude : “Annie Ernaux est une immense autrice. Elle mérite amplement son prix Nobel et quand tu défends l’idée que Rushdie le méritait plus dans les colonnes de ta revue, tu te rends coupable de sexisme et d’une certaine forme d’anti-France. Cela d’autant plus que tu considères que Bob Dylan le mérite”.  Cette tirade était adressée à l’auteur de ces lignes. Il a répondu. Mollement. En ménageant la chèvre et le chou. Et il a enragé de ne pas avoir eu plus d’à-propos. Voici qu’il vient. Sur le fait que la simple chanson “Hurricane” de Dylan qui, en elle-même, est une nouvelle sur l’histoire d’un boxer mériterait le prix Nobel. Réécouter la chanson “With god on our side” et se dire que décidément ce prix Nobel qu’est Dylan sait dire en peu de mots ce qui est déréglé dans notre monde d’hier et d’aujourd’hui. Notamment dans la tête de celles et ceux qui veulent faire de Dieu l’alpha et l’oméga du monde.

Silhouettes.
Ne pas savoir quoi penser. Ne pas savoir où chercher pour se faire une opinion précise pour la retraite et dans le débat qui anime actuellement le pays. Et relire Camus. Se dire une nouvelle fois que l’écrivain de par sa sensibilité sait mieux que quiconque saisir le monde. “Il n’y a pas de vie sans dialogue. Et sur la plus grande partie du monde, le dialogue est aujourd’hui remplacé par la polémique, langage de l’efficacité. […] Mais quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent, et à refuser de le voir.  Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard. Grâce à la polémique, nous ne vivons plus dans un monde d’hommes, mais un monde de silhouettes”.

Sortir du monde de silhouettes pour le monde des êtres. Un message qui finalement vaut pour toutes les choses vues et partagées avec vous ce matin.

Bon dimanche,

L’édito paraît le dimanche dans l’Ernestine, notre lettre inspirante (inscrivez-vous c’est gratuit) et le lundi sur le site (abonnez-vous pour soutenir notre démarche)
 
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