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Heureusement qu’il reste la bagnole (et Jean Yanne)

Erwan Hesry 15v2IOVoCX0 Unsplash

Dans sa nouvelle chronique, Jérémie Peltier donne des astuces pour être à l’heure à la Dinde de Noël, malgré la grève des trains en convoquant, notamment, Jean Yanne. Délicieux.

Et bah bravo ! On a tous vendu nos bagnoles polluantes pour prendre le train, et on se retrouve là à quai comme des cons à devoir fêter Noël au MacDo en face de la gare, des cadeaux sponsorisés la Fnac plein les mains et des gosses pleins les landaus. Merci la France !

Car il fallait bien s’y attendre ! Vous pensiez quoi ? Que vous pouviez confier votre vie et vos moments de famille à d’autres gens comme ça les yeux fermés sans que ça vous pète à la tronche à un moment donné ? Vous pensiez pouvoir confier vos déplacements à des gens en casquette qui portent un sifflet autour du cou ? Si vous croisez un mec comme ça dans la rue, jamais vous ne lui confiriez un secret. Alors votre vie, je ne comprends même pas comment vous avez osé.

Si vous avez fait ça, pardonnez-moi mais vous avez perdu la tête. Et pardonnez-moi une nouvelle fois, mais temps que le Métavers ne vous permettra pas de fêter Noël avec maman, la seule certitude d’arriver à bon port (à partir du moment où vous avez rempli des bidons de sans-plomb stockés dans votre garage) reste bien évidemment la bonne vieille bagnole, que ça vous plaise ou non et si ça ne vous plait pas c’est pareil.

Plutôt que de chialer, il aurait donc fallu passer votre permis. Au moins, vous seriez restés maîtres de votre destin. Et plutôt qu’une carte grand voyageur, c’est une place de parking qu’il aurait fallu vous acheter afin de vous assurer une fin d’année avec davantage de sérénité.

Capture D’écran 2022 12 22 À 11.00.55Car la bagnole, il y a que ça de vrai. Et c’est notre maître Jean Yanne qui en parle le mieux. D’ailleurs, Jean Yanne est assez utile pour patienter tandis que vous êtes là assis à attendre dans ce « salon voyageur » à tenter de trouver enfin une prise électrique qui fonctionne pour recharger votre téléphone qui n’a plus de batterie à force de tweeter votre haine contre la SNCF et de raconter votre vie dont on se fout complètement (« Cette année, mon papa ne verra pas ses petits-enfants. Merci la SNCF » ; « Ça va on ne vous dérange pas à pourrir notre vie ? » ; « Vous privez des milliers de Français du bonheur familial des fêtes de fin d’année »). Oh oh on se calme !? Vos familles avec votre absence auront un souci de moins à gérer pour les repas donc cessez de vous croire indispensable comme ça et un peu d’humilité je vous prie.

Revenons à Jean Yanne donc, dont il est temps de dire que c’est l’un des plus grands. A la fois homme de radio, de cinéma, de théâtre, de livres et de bons mots, celui qui fût à l’origine du slogan « Il est interdit d’interdire » a parlé à maintes reprises de la voiture dans ses différentes productions, d’abord car il avait bien compris qu’il s’agissait d’une passion française au même titre que la baquette de pain ou que la défaite aux tirs-aux-buts en finale de Coupe du monde. Et qu’il avait bien compris que cet objet allait devenir structurant dans la société des années 1960.

La bagnole, il en parle dans ce sketch sur le permis de conduire dans lequel il nous conseille de ne surtout pas prendre les routes départementales pleines de boue et qui sentent mauvais, conseil que vous devriez d’ailleurs appliquer vous aussi dans le cas où vous souhaiteriez arriver à l’heure pour la dinde.

La bagnole enfin, il en est question dans ce film de Jean-Luc Godard, Week-end dans lequel joue Yann aux côtés de Mireille Darc, film qui montre les morts que produit – aussi – la voiture, cette dernière étant souvent aussi au cœur d’embrouilles mémorables, car « la folie commence au niveau de la voiture » [1].

Si la folie commence au niveau de la voiture, c’est qu’il s’y joue un rapport de forces permanent. Sur la route et dans les bouchons, qui va montrer sa supériorité ? Qui va montrer sa soumission ? C’est tout le sens de son sketch bien connu avec Paul Mercey.

Donc, si vous voulez sortir du merdier dans lequel vous vous êtes mis en vous soumettant aux rails non pas de coke mais de train, allez vite chercher les clefs de votre vieille auto. Et si vous ne les retrouvez pas, lisez ou relisez Jean Yanne. Ça ne changera rien à votre situation, mais ça vous redonnera un peu le sourire. Vous pouvez pour cela vous procurer la merveilleuse revue Schnock [2], qui avait consacré son troisième numéro à Jean Yanne, avec ce titre qui plairait aux cheminots : « La révolution ? Oui ! La pagaille ? Non ».

Vous pouvez aussi vous procurer le merveilleux On n’arrête pas la connerie [3] publié aux Éditions du Cherche midi avec une préface d’Olivier de Kersauson. Enfin, également au Cherche midi, je vous recommande Je reviens ! Vous êtes devenus (trop) cons, qui explore des archives inédites de l’INA.

Et si ça ne vous calme pas car vous avez besoin de passer vos nerfs sur les grévistes, sachez aussi que Jean Yanne a aimé parler des manifestations et des manifestants. D’abord, il fut le seul à mettre en lumière un métier alors méconnu à l’époque, celui de « manifestant professionnel », métier que vous pouvez exercer après être passé par l’IHDEM, l’Institut des Hautes Études des Manifestations. Durant la première année, vous pourrez participer à un certain nombre de cours théoriques : apprentissage et conception de la banderole, confection de pancartes, apprentissage de slogans politiques…Durant la seconde année, ce sont les travaux pratiques : formation et déformation de cortèges, lancement du pavé, protection contre la matraque, apprentissage de conception de cocktail Molotov.

Sur les manifestations et les grèves, Yann, homme de radio, proposait d’ailleurs un truc merveilleux, qui à priori emmerderait moins les gens en cette fin d’année sans perdre en efficacité : la manifestation par le poste de radio. Il avait appelé ça « Cette manif est la vôtre ». Il offrait aux gens qui n’appartenaient à aucun parti ni à aucun syndicat la voix de la radio pendant plusieurs minutes. Les gens appelaient le standard et manifestaient en direct au téléphone. Yann demandait à tous les auditeurs de France de monter à fond le volume de leurs haut-parleurs dans tout le pays de manière à ce que la voix de son manifestant se fasse entendre partout. Il demandait à ses auditeurs d’ouvrir les fenêtres de leur appartement ou de leur voiture afin de diffuser autour d’eux cette manifestation d’envergure nationale [4]. Je ne sais pas si cela pourrait donner des idées à certains, je ne fais que suggérer.

Voilà, c’est tout ce que je peux faire pour vous. Et c’est déjà pas mal. Bon club sandwich SNCF à toutes et tous et surtout bonne année.

Amitiés

[1] Je reviens ! Vous êtes devenus (trop) cons ! Textes présentés par Fabrice Gardel, Seuil / Le cherche midi, 2016

[2] Schnock, numéro 3, septembre 2012

[3] Jean Yann, On n’arrête pas la connerie, préface d’Olivier de Kersauson, Le cherche midi, 2007 (première édition)

[4] Jean Yann, On n’arrête pas la connerie, préface d’Olivier de Kersauson, Le cherche midi, 2007 (première édition)

Toutes les “chroniques d’arrêt d’urgence” de Jérémie Peltier sont là.

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