La fin de l’année arrive. Enfin… Évidemment, Jérémie Peltier a un cadeau pour vous : il vous livre son petit conte de Noël. Avec Alphonse Allais, Ilan Duran Cohen, et aussi Mariah Carey. Sa façon à lui de vous souhaiter bon courage. Avec le sourire.
Parfois, il n’est nul besoin mes chers amis de mettre les formes pour introduire un propos, ou d’en faire des caisses et des caisses pour vous situer le contexte. Un 18 décembre 2020, quelques jours avant la « magie de Noël » et ces fameuses « Fêtes de fin d’année », j’ai l’intime conviction que les mots ne sont d’aucune utilité. Même chez un aveugle, un regard suffirait pour comprendre l’état d’esprit dans lequel nous sommes toutes et tous quelques jours avant le grand départ pour un périple duquel nous ne sommes pas certains de revenir vivants.
Alors, nous allons faire court mes amis, mes tendres amis. Car je sais que le temps vous est compté, et sais ce que vous ressentez. La seule chose que j’ai envie de faire aujourd’hui, c’est de vous souhaiter « bon courage » dans cette aventure qui démarre ce soir et dont vous paierez les conséquences financières, physiques et psychiques pendant les six premiers mois de l’année 2021.
En parlant de 2021 : bon courage, d’abord, car, il vous faut d’ores et déjà supporter encore quelques jours les saillies de « A l’année prochaine », venues de toute part. Au bureau, chez votre pharmacienne, chez votre boucher en passant par votre médecin, en tout temps, en tout lieu, la même phrase que vous avez de plus en plus de mal à encaisser : « Et à l’année prochaine ! ». On sait que c’est difficile. Il faut tenir. C’est une règle universelle et intemporelle. Des générations entières ont résisté et ont fait preuve de courage pour ne pas devenir violent lorsqu’on vous jette cette phrase à la figure. Pourquoi pas vous ?
Bon courage, ensuite, car il va peut-être vous falloir supporter une nouvelle fois des personnes autres que vous-même dans votre propre voiture. Toute l’année, vous êtes quasiment seul à l’intérieur, allant et revenant du travail, fatigués mais au calme. Toujours et encore au calme. Cette voiture, ce havre de paix qui vous accompagne fidèlement tout au long de vos semaines, qui sent bon le cuir mêlé d’un zeste de votre parfum, cette voiture n’est soudainement plus un refuge mais un enfer où se mêlent du bruit, de l’odeur, des cris et des briefings familiaux à n’en plus finir. En somme, elle devient, pour deux semaines, le symbole d’un vaste bordel.
Bon courage, par ailleurs, car vous allez vraisemblablement passer sur le trajet devant des « maisons décorées », et qu’il vous faudra respecter cela sous peine de passer pour un rabat-joie ou un sombre connard.
Bon courage, aussi, à nos amis qui prendront le train pour rejoindre leur famille. Bon courage car il va falloir se fader encore et toujours ces angoissés de la valise, ces gens qui ne voudront pas la quitter des yeux sous prétexte qu’ils ont leurs cadeaux dedans, qui ne voudront pas comprendre qu’elle ne rentre pas dans le petit casier du haut ; il va falloir se fader ces gens qui ne seront, évidemment, pas assis à leur place. Et surtout, bon courage, car il va falloir supporter les enfants dans le train. Les enfants excités, ou fatigués, qui vont pleurnicher et brailler jusqu’à Angers alors que vous pensiez, enfin, avoir le temps de rêver.
Dans son petit livre, Pourquoi je déteste les enfants[1], l’écrivain américain Robert Benchley a très bien résumé la situation :
« Aux États-Unis, il existe deux classes pour voyager en train : la première classe, et celle avec des enfants. Voyager avec des enfants équivaut grosso modo à voyager en troisième classe en Bulgarie. Il paraît qu’il n’existe aucune catégorie au monde inférieure à la troisième classe des chemins de fer bulgares. Lorsqu’on voyage avec des bambins, l’inconfort physique n’est en réalité pas si terrible, même si on sort de là avec l’air hagard du type qui vient de monter tout seul un piano à l’étage. C’est bien plutôt l’usure mentale qui vous porte un coup et, pour un homme sensible, il n’y a rien de pire ».
Serez-vous le petit polémiste du repas de Noël ?
Bon courage, évidemment, pour la gestion des diners tout au long de cette période. Bon courage car au milieu de la volaille, du foie gras et du chocolat, vous risquez un procès à tout moment d’inattention ou de légèreté de votre part. C’est ce qu’il s’est passé pour le héros du formidable roman de Ilan Duran Cohen, Le petit polémiste[2], publié il y a peu chez Actes sud. En effet, comme pour vous, tout allait bien pour Alain Conlang, polémiste télévisuel reconnu. Tout allait bien jusqu’au jour où, lors d’un dîner avec des amis, il lance en se marrant :
« Je ne supporte pas les bonnes femmes et leur rapport au pouvoir, je ne supporte vraiment pas de travailler pour les nanas, c’est toujours un cauchemar ».
Dans ce Paris des années 2030, ouvrir ainsi sa gueule n’est plus acceptable, même avec des amis. Il devra donc répondre de son « humour mal ajusté » devant la justice après avoir été dénoncé par ses propres amis. Leur « notation sociale » (nouveau système de régulation des relations sociales dans le Paris de 2030) en dépend. Alain Conlang le comprend très vite lors du dîner :
« Les hommes ne pipaient mot, paralysés par mon inconscience. Fabien évitait mon regard, ce qui me fit beaucoup de peine, et je compris à sa tête baissée que je m’étais mis dans de sales draps. J’allais écoper d’un procès, c’était certain, les mecs étaient désolés pour moi, ces mâles honorables n’étaient aucunement mes complices dans cet horrible crime. Ma vie venait de basculer ».
Bon courage à celles et ceux qui vont vivre ce moment de malaise et de solitude quand tout le monde vous lâche comme ça, en plein dîner, vous obligeant à monter dans votre chambre pour prendre votre dessert tout seul. Bon courage pour parvenir à vous retenir de faire des blagues dans ces dîners où cette année, parler avec outrance et d’autre chose que du Covid sera perçu comme une marque d’égoïsme et un signe d’immaturité :
« Tu l’as eu ?
-Tu l’as pas eu ?
-Oh moi je crois que je l’ai eu.
-Nous on est immunisés du coup.
-Le petit ne va pas à l’école depuis jeudi pour vous protéger (et pour éviter de croiser les enfants de pauvres – si on peut éviter les poux en même temps).
-Mmh moi je ne sais pas si je l’ai eu. Je ne veux pas faire de test. Bon toute façon on ne va pas s’arrêter de vivre.
-Bon en même temps c’est grave. Arrêtez de minimiser !
-Mamie recule ou je te crache dessus ! On t’a dit dans la cuisine cette année ! »
Bon courage pour les discussions à venir, bon courage pour parler de Macron, de son épouse et de leur Covid commun.
Bon courage mes frères car une nouvelle fois cette année, Covid ou pas, vous allez partager la salle de bain avec votre belle-sœur, votre beau-frère, vos beaux-parents ou vos vieux oncles et tantes, et vous allez vous agacer, je le sais, de ne pas pouvoir y accéder quand vous le souhaitez, à 23h le soir ou à 10h du matin.
Vous allez voir tout ce petit monde se promener dans les couloirs les fesses à l’air comme si vous étiez dans un phalanstère, vous allez les voir le matin, vous posant des questions sur votre vie intime et ce que vous pensez des vaccins alors que vous voulez croquer tranquillement dans votre brioche. Vous allez devoir faire la p’tite balade, alors que vous voulez juste être peinard ou alors faire une sieste crapuleuse avec votre compagne ou compagnon.
Bon courage, évidemment, pour le moment des cadeaux. Force et courage pour justifier cet achat merdique que vous avez fait à votre tante, bon courage aussi pour sourire face à ce livre que vous avez déjà ou que vous détestez mais que vous vous devez accepter car c’est le geste qui compte. Bon courage pour faire croire avec assurance que le cadeau que vous n’avez jamais commandé pour votre cousine n’est malheureusement pas arrivé à temps mais que vous lui ferez livrer par La Poste évidemment. Bon courage pour parvenir à faire croire que la dédicace adressée à votre mère sur ce livre est une vraie dédicace de l’auteur et pas une imitation réalisée par vos soins dans la plus grande discrétion.
Bon courage pour les photos du bébé que vous allez devoir regarder entre deux gorgées de Gin pour oublier que vous êtes la seule personne à passer Noël en célibataire. Bon courage pour les bêtisiers et les palmarès en tout genre que vous allez vous taper un thé à la main pour passer pour quelqu’un de bien.
“Cette année, pas de bière de Noël au PMU”
Bon courage, surtout, car on nous a enlevé cette année tout ce qui fait normalement le sel de ces périodes : les bars pour prendre deux-trois bières de Noël et se réchauffer l’âme avec nos vieux amis retrouvés pour l’occasion. Nos bars d’enfance, à Paris ou en province. Ce bon vieux PMU dans lequel chaque année vous vous plaisez à vous enfiler trois demis entre 16h et 18h le 24 décembre. Cette année, c’est fermé (au même moment où Jean-Pierre Pernault annonce son départ du 13h de TF1). Et c’est bien triste. J’en profite malgré tout pour vous informer, comme ça vous le saurez ou le placerez dans vos dîners, que parmi les 34 968 communes françaises, 26 000 n’ont plus de bars. En France, il y avait 500 000 bistrots en 1900, 200 000 en 1960, contre seulement 40 000 aujourd’hui. Enfin, parmi les noms de bar les plus populaires, Le Café des sports arrive en tête (181 établissements en France), devant Le Longchamp (105) et Le Balto (72)[3].
Bon courage à celles et ceux qui vont se faire cambrioler. Oui, c’est la saison, et après un confinement difficile pour l’économie parallèle, c’est le moment de se refaire une santé pour certains. Alphonse Allais avait déjà bien cerné cela. Les Editions Mikros avaient publié en 2019 un joli recueil de textes de Noël, Qui ne croit pas au père Noël ?[4], recueil qui nous faisait notamment redécouvrir quelques pépites de Alphonse Allais, dont ce texte tiré de Pour cause de fin de bail (1889) :
« Notre meilleur jour, à nous autres cambrioleurs, ou, pour parler plus exactement, notre meilleure nuit, c’est la nuit de Noël. Surtout dans les départements. Principalement dans certains. Dans ceux (vous l’avez deviné) où la foi subsiste, fervente, candide, au cœur de ces bons vieux vrais Français, comme les aime Drumont (Édouard). En ces naïfs districts, c’est encore plus par allégresse que par devoir religieux que les fidèles accourent à la messe de minuit, et, dans cette assemblée, c’est plus des poètes qui rêvent que des chrétiens qui prient. L’étoile…les rois mages…l’étable…le Bébé Dieu sur son dodo de fins copeaux…La jolie petite Maman-Vierge rose d’émoi et un peu pâle, tout de même, et fatiguée de recevoir tant de monde qui n’en finit pas d’arriver, d’entrer, de sortir, de bavarder…et dans un coin, le menuisier Josef, quelque peu effaré, un tantinet ridicule (d’ailleurs, amplement dédommagé depuis par un fort joli poste fixe au Séjour des Bienheureux). »
Bon courage enfin car on va bien se taper un attentat, une crise politique, une grève SNCF ou une manifestation. Et qu’il faudra faire preuve de courage pour ne pas vous énerver.
Pour conclure, mes amis : bon courage, pour supporter une nouvelle fois cette année cette chanson de Mariah Carrey. Bon courage car on n’en peut plus. Nous sommes fatigués, au bord du break.
Quitte à choisir la playlist lorsque vous serez installé, habillé comme un manche devant le sapin, un verre à la main pensant que tous les chemins mènent au Rhum, préférez « La complainte de Jack » de L’étrange Noël de Monsieur Jack. C’est moins dansant, ça vous permet de rester assis, et ça vous rappelle que tous les chemins mènent au cimetière.
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[1] Robert Benchley, Pourquoi je déteste les enfants, Nouvelles éditions Wombat, 2011, 2017
[2] Ilan Durban Cohen, Le petit polémiste, Actes sud, 2020
[3] Source : Philosophie magazine, n°145, décembre 2020-janvier 2021.
[4] Qui ne croit pas au Père Noël ? Contes et histoire, Éditions de l’Aube, 2019
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Toutes les chroniques d’arrêt d’urgence de Jérémie Peltier pour Ernest sont là.