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La politique des petits pas

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Dans un essai documenté et vivifiant, bien que parfois excessif et pamphlétaire, Dominique Bourg et Johann Chapoutot interpellent les pouvoirs publics et les citoyens sur l’urgence climatique. Une lecture salutaire !

Par Paul Klotz

Dresser, en une soixantaine de pages, un panorama complet de l’impuissance publique en matière environnementale n’est pas chose aisée. Dans “Chaque geste compte – Manifeste contre l’impuissance publique”, Dominique Bourg et Johann Chapoutot réussissent cet exploit, dans un texte empli de colère froide et d’une rare intensité. Le premier, connu pour être l’un des grands philosophes de l’écologie contemporaine, allie ici son expertise à celle de l’historien spécialiste du nazisme ; ensemble, ils donnent naissance à un ouvrage exaltant et qui ne retient pas ses coups.

Product 9782073020246 195x320Publié dans la collection Tracts de Gallimard, “Chaque geste compte” se propose d’étudier l’univers mental des individus détenteurs du pouvoir politique ou économique qui, partout dans le monde, préféreraient sciemment le dogme de l’accumulation des richesses à l’idéal de protection des générations futures. Leur plaidoyer ne procède toutefois pas d’une proscription généralisée et indifférenciée de tous les gestionnaires et responsables aux commandes. Mentionnons, à ce titre, l’éloge faite des dirigeants tels que Joe Biden et le Pape François qui, dans leurs missions respectives, contribuent à “déranger les habitudes et les travers bien ancrés” en donnant à voir davantage que l’horizon morne de la jouissance et de la consommation.

Pour le reste, Johann Chapoutot et Dominique Bourg dénoncent la prolifération de dirigeants refusant de s’encombrer du processus de pensée, particulièrement en France : face à l’urgence climatique, écrivent-ils, la vie politique française est dominée par “les mots ronflants et creux tous justes bons à figurer en gras sur des slides vendus à prix d’or par des cabinets de conseil.” Acerbes, les auteurs tournent en dérision l’idéologie du vide de l’extrême centre, promouvant révolution et bienveillance tous les quatre matins.

Un constat implacable

Au fond, le en même temps, tout comme le trumpisme, l’idéologie des pétromonarchies et la vision du monde promue par Elon Musk, seraient résolument impropres aux changements radicaux. Ces doctrines, toutes jetées dans le panier du néolibéralisme, enracineraient chez les individus des représentations à l’opposé de toute capacité à penser la transition écologique. N’en citons qu’une facette : “par convention comptable, en économie, les ressources naturelles sont réputées gratuites, disponibles pour l’appropriation privée et la recherche maladive du profit, des resnullius, des choses qui n’appartiennent à personne“.
Le pouvoir serait ainsi aux mains de forcenés servant des intérêts privés sans même se cacher ; ce faisant, il acterait chaque jour un peu plus la dissolution de l’État, autrefois “tiers, en surplomb, garant de l’intérêt général.” Et les auteurs de dresser des comparaisons entre l’Occident de 2022 et l’Europe de 1940 : “L’obligeance servile des “élites” politiques et économiques de notre pays à l’égard de “modèles de développement” et de “croissance” comme la Chine, il y a quinze ans, ou le Qatar aujourd’hui, rappelle obstinément la veulerie coupable, l’indécence de ceux qui, entre 1933 et 1940 disaient “plutôt Hitler que Blum, plutôt un régime efficace qu’un gouvernement socialiste“. On ne peut s’empêcher de penser au scandale qui éclabousse actuellement une partie du Parlement Européen.

Loin de d’adhérer à la politique de l’autruche face à l’inévitable effondrement qu’ils caractérisent, les auteurs formulent plusieurs recommandations en fin d’ouvrage. Un appel est ainsi lancé à prendre, par décret, des mesures contraignantes fixant par exemple des quotas d’émissions carbone pour chaque individu. Après tout, écrivent-ils, “il y a des restrictions à la liberté partout : le quota d’assassinats à chaque citoyen est de zéro”.

Que retenir de ce livre ? À sa lecture, difficile de ne pas le trouver convaincant : le constat dressé est froid, révoltant, et fait naître une insurrection immédiate dans l’esprit du citoyen-lecteur. Ne restituons qu’une phrase, traduisant la puissance du propos ; à propos de l’émergence du métavers, les auteurs co-écrivent : “on assume de dévaster le réel pour offrir au quidam privé d’oiseaux, de grillons et d’arbres, la consolation d’une réalité virtuelle qui, au passage, ne manquera pas de collecter des données et d’inciter à une normalisation des comportements par la veille statistique”.

Il sera toutefois possible de rester perplexe devant les multiples parallèles faits, au cours du livre, entre la crise environnementale contemporaine et le développement du nazisme, bien qu’un de ses spécialistes ait participé à l’écriture de l’essai. De même, certaines assertions rageuses portées ad hominem pourront contraster avec la beauté et la finesse du propos général. Quoiqu’il en soit, ce court ouvrage élargit significativement l’horizon en ébranlant les représentations les plus convenues et en enjoignant le lecteur à s’indigner du fonctionnement du monde.

Tous les essais transformés repérés par Ernest sont là.

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