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Rencontre avec la Miss Marple de Séoul

Seo Miae © Studio Sillok HD

Venue du scénario télé et cinéma, Seo Mi-ae a amené les lecteurs coréens au polar avec ses romans psychologiques grinçants qui malmènent le couple et la famille. Nous l’avons rencontrée lors de son passage à Paris.

Ccus CouvCette femme à l’élégance discrète et classique, souvent vêtue de sombre, est la reine du crime en son pays. Seo Mi-ae (prononcer so-mi-é) est à 57 ans une des figures majeures du roman noir coréen. Avec d’autres quinquagénaires tels que Kim Un-Su ou Kim Young-ha, elle forme la crête d’une vague littéraire encore jeune, apparue dans les années 1990. Leurs polars de société sont venus réveiller un genre alors limité au roman de gare au moment où les Coréens découvraient une parole plus libre, au sortir de la dictature. Dès 1994, Seo Mi-ae a frappé fort avec « Les 30 meilleures façons d’assassiner votre mari », dérive cocasse d’une épouse avouant un meurtre qu’elle a désiré très fort mais qu’elle n’a pas commis. Cette longue nouvelle, plusieurs fois rééditée en Corée et même adaptée au théâtre, vient d’être traduite en français dans un recueil de cinq histoires courtes du même esprit. "Elle est fascinée par la naissance du Mal au cœur d’une famille", dit de la romancière son éditeur français Pierre Bisiou.

Au catalogue de la maison Matin Calme, ce titre s’ajoute à « Bonne nuit maman » et « Chut c’est un secret », premiers volets d’une trilogie. La dame de Séoul y confronte une jeune criminologue à un Hannibal Lecter local et à une inquiétante fillette digne de Stephen King, écrivain qu’elle admire. Des références occidentales assumées, qui soulignent le regard original qu’elle porte sur sa propre culture et qui parlent aux lecteurs du monde entier.

Publiée dans une quinzaine de pays, Seo Mi-ae compte déjà autant de fidèles en France que dans sa propre langue. Venue à leur rencontre pour la troisième fois en deux ans, elle nous a à cette occasion accordé un entretien, pour lequel la traductrice Kyung Ranchoi a bien voulu servir d’interprète.

30 Façons CouvQu’est-ce qui, selon vous, fait que « Les 30 meilleurs façons d’assassiner son mari » continue de plaire près de trente ans après sa sortie en Corée ?

Seo Mi-ae : Au festival du polar dont je reviens (à Cherbourg le 20 novembre NDLR), un couple âgé est passé devant notre stand et, en voyant le titre de mon roman, la dame a souri et le monsieur a sursauté. Ceux-là n’ont pas acheté le livre mais on en a vendu beaucoup à des mères de famille…

En fait, quand je pense aux grands auteurs qui m’ont marqué, Saint-Exupéry, Victor Hugo, Molière, ils parlent de sentiments, d’émotions, de désirs profondément humains, universels, qui traversent le temps et les frontières.

Si on les lit toujours en France et ailleurs, c’est parce qu’ils parlent de choses qui nous concernent.

Pourquoi les femmes tiennent-elles une place centrale dans vos livres ?

Seo Mi-ae  : Je n’écris pas particulièrement pour défendre les droits des femmes, ce n’est pas mon intention, mais je parle de situations que j’ai vécues ou ressenties. Le public en Corée se compose de femmes de plus de 20 ans et elles peuvent s’identifier à ce que je raconte puisqu’on partage la même expérience, les mêmes colères, et qu’on se comprend. Quand j’écris une nouvelle sur la vengeance d’une femme, c’est un peu comme si elles se vengeaient elles-mêmes. C’est une vengeance par procuration, une sorte de catharsis. Je me retrouve classée parmi les auteurs féministes et, à y réfléchir, c’est vrai qu’il n’y a pas très longtemps que les Coréennes peuvent voter (1948 NDLR). Comment est-ce possible que nos mères et nos grand-mères aient vécu comme ça ? Mais j’ai eu cette prise de conscience après coup…