Deuxième épisode de “Back to Classics”, de Frédéric Potier. Cette fois-ci, il nous parle d’un très grand roman. De ceux qui restent longtemps en tête et sur lesquels on a envie de revenir. “Une vie française”, le meilleur roman de Jean-Paul Dubois, prix Goncourt 2019 pour “Tous les homes n’habitent pas le monde de la même façon”. A découvrir ou à redécouvrir absolument !
Alors que je m’apprêtais à me rendre à Bram, entre Toulouse et Carcassonne, à l’invitation de la présidente de région Carole Delga, un ami très cher me fit remarquer que, outre boire et manger local, nous devrions aussi “lire local” à la seule fin de sauvegarder toute la diversité de notre écosystème culturel et littéraire. “Challenge accepted !” répondis-je de mon meilleur franglais mâtiné de séries américaines. Et voilà pourquoi avant de m’envoler vers la ville rose (oui, le bilan carbone de cette chronique n’est pas terrible), je plaçais dans mon sac à dos avec gourmandise le roman de Jean-Paul Dubois intitulé “Une vie française” dont l’épicentre se situe à Toulouse.
Ancien journaliste au Nouvel Obs, Jean-Paul Dubois connu un vif succès avec cet opus publié en 2004 qui lui valu le prix Féminina. Le livre a beau être sorti en poche sa notoriété semble pourtant s’être arrêtée aux boomers (oups, un 2e anglicisme…). Et pourtant, quel chef d’œuvre ! Petit résumé juste pour vous amis ernestiens. Comme l’auteur, le narrateur a fait semblant d’étudier la sociologie à Toulouse avant d’entamer une carrière de journaliste sportif. Un choix professionnel relevant du plus parfait hasard qui fait répondre à son paternel “qu’il aurait encore préféré qu’il entre dans la police”.
Avec un humour féroce, et un détachement absolu qui frise parfois avec une forme de philosophie de l’existence, Jean-Paul Dubois entrelace la vie familiale et sexuelle du narrateur avec l’histoire politique de la Ve République. Chaque chapitre correspond à un mandat présidentiel, un septennat donc, plus ou moins raccourci en fonction des démissions et des décès de nos chefs d’Etat, pour s’achever sur le quinquennat de Jacques Chirac (dont le bilan est aussi maigre qu’un mannequin de la Fashion week).
Il y est beaucoup question de sports (de foot et de rugby en particulier), de voitures (le père du héros vend des Simca), de rock’n’roll, de la mort et de gauche. La chape de plomb morale du gaullisme (1958-1969, 1969-1974), enfermé dans le conservatisme, renforcée par le décès de son frère aîné, est dessinée avec précision tout comme le bordel jouissif de mai 1968. La grande affaire du septennat de VGE (1974-1981) c’est la rencontre avec celle qui allait devenir sa femme, Anna, qui ne jure que par l’économiste anglais Adam Smith, dont on découvre qu’il aurait commencé à rédiger son œuvre majeure “De la richesse des Nations” en 1765… à Toulouse. Notons d’ailleurs que Smith et Keynes sont nés le même jour. Les spécialistes apprécieront et les astrologues en déduiront peut-être quelque chose sur les Gémeaux… Fin de la parenthèse. Logiquement Anna reprend les rênes de l’entreprise familiale de piscines à débordement tandis que Paul, notre auteur-narrateur, quitte le journalisme sportif pour se consacrer à ses deux enfants.
Humer l’époque sans céder à ses travers
Les deux septennats de Mitterrand (1981-1988, 1988-1995), que le narrateur observe sans aucune fascination pour la tontonmania ni détestation exagérée sont consacrés à la photographie, à la déréliction de son couple et à la mort qui taraude sans cesse les romans de Dubois. Des années Chirac, il ne reste pratiquement rien, et cela ne devrait surprendre personne, à part un stoïcisme face au naufrage de la vieillesse et à la maladie…
Avec “Une vie française”, Jean-Paul Dubois rédige, un peu à la façon de Philip Roth, probablement la description la plus juste de la France de la deuxième moitié du XXe siècle, une époque qui commence avec le souvenir honteux/glorieux de la seconde guerre mondiale et qui finit avec les attentats du 11 septembre. J’avoue que j’avais oublié à quel point la plume Jean-Paul Dubois était drôle, féroce et tendre à la fois. Un roman jouissif, permissif – oui ça parle souvent de cul – pas moralisateur pour deux sous et injustement un peu trop oublié. Remis sur le devant de la scène par un Goncourt en 2019 pour “Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon”, en réalité pour l’ensemble de son œuvre, Jean-Paul Dubois fait partie de ces écrivains discrets qui ne se complaisent pas à écumer les plateaux télé et à multiplier les pétitions pour des causes diverses et variées.
C’est probablement la marque des grands auteurs que de développer une capacité à humer l’époque sans céder à ses travers. Il y a chez Dubois, comme chez Nougaro, la même envie de rire, de vivre, de ripailler et d’aimer toute la nuit sur les bords de la Garonne. Une certaine manière aussi de regarder la vie avec une pointe d’ironie et un regard canaille, une façon d’envisager l’existence comme la mort avec lucidité, détachement et un brin de panache. En somme, “Une vie française” que je vous invite à redécouvrir.
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