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Des auteurs et des lettres

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Lettres d’amour, messages d’admiration, cadeaux offerts dans les salons, rencontres insolites… Les lecteurs sont plus que jamais en relation avec leurs auteurs préférés. Pour le meilleur et pour le pire.

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Qui n’a jamais rêvé d’être en contact avec l’auteur d’un livre qu’il a aimé ? De le questionner sur les dessous de son œuvre, sur son métier d’écrivain, sur son rapport au monde ? Qui, parmi les amoureux des livres, n’a jamais eu envie d’être le destinataire des lettres de Rainer Maria Rilke, dans Lettres à un jeune poète, où l’auteur dispense de précieux conseils d’écriture ? Sans être nullement question d’amour, il y a quelque chose de presque romantique dans le fait de prendre la plume et d’entretenir une relation avec un être que l’on a d’abord découvert par ses mots ; mais aussi quelque chose de très asymétrique. Si le lecteur, par le biais de la fiction, peut deviner maintes choses sur l’auteur d’un livre sans le connaître, et peut aussi se retrouver dans ses mots, l’auteur, lui, ne sait rien de ses lecteurs. Il écrit des romans, les publie, et ces derniers font ensuite leur chemin. Alors que se passe-t-il vraiment, quand le lecteur sort de l’ombre, par courrier, par e-mail, ou lors de séances de dédicaces ? À l’heure des réseaux sociaux, les réactions de lecteurs, fussent-elles positives ou négatives, n’ont jamais été autant à vif et spontanées. Malgré l’incroyable facilité d’envoyer un message privé ou public à l’auteur de son choix, l’exercice n’en reste pas moins intimidant.

« L’ère du courriel a peut-être désinhibé les survivants de l’ère du courrier, écrit Pierre Assouline, écrivain, critique littéraire et membre du jury du prix Goncourt, sur son blog, La République des Livres. Et puis écrire pour dire quoi ? Qu’on le remercie d’exister ou qu’on l’encourage à disparaître au plus tôt. Qu’on aime ses livres, qu’on les dédaigne, qu’on les interroge. Qu’ils contiennent des erreurs, des incorrections, des facilités, des contre-vérités. » Il y a quelques années, lorsqu’il travaillait à la biographie de Georges Simenon (Simenon, Folio), il s’est immergé dans la correspondance tant privée que professionnelle de l’homme aux 400 livres. « Il y a des pépites dans ces lettres, raconte-t-il. Des lecteurs capables de livrer une analyse d’un roman d’une acuité et d’une perspicacité remarquables, comme rarement des critiques littéraires y parviennent. Nombre de correspondants identifient sans hésiter l’auteur à ses personnages dans un processus de dédoublement. Ils lui demandent conseil, le tiennent pour un guide conjugal, un père de substitution. »

"Instagram reste la forme la plus moderne de correspondance actuelle"

[caption id="attachment_36665" align="alignleft" width="247"]Unnamed Agathe Ruga, portrait dessiné par un lecteur[/caption]

Pour Agathe Ruga, dont le deuxième roman, L’homme que je ne devais pas aimer (Flammarion) vient de paraître, l’entrée en littérature a été précédée par la création de son blog littéraire à succès, et de la fidélisation d’une large communauté de lecteurs. Les réseaux sociaux ont d’abord été pour elle le moyen d’entrer en contact avec les auteurs dont elle chroniquait les livres. « Je n’ai jamais envoyé de lettre manuscrite, c’est comme si j’étais née avec Instagram. Ça reste la forme la plus moderne de correspondance actuelle, et ces échanges m’ont toujours énormément nourrie. Imaginez : vous écrivez une chronique sur Instagram d’un livre que vous avez adoré, et l’auteur vous remercie quelques instants plus tard. Vous approfondissez ensemble la lecture grâce à la messagerie, et hop, vous êtes amis. N’est-ce pas une des choses les plus merveilleuses de notre époque ? Clarisse Gorokhoff, par exemple, dont j’avais chroniqué le premier livre – "De la bombe" (Gallimard, 2017) –, a initié une correspondance avec moi par mail. J’étais très flattée de nos échanges passionnants qui perdurent jusqu’à aujourd’hui. Nous nous sommes même donné rendez-vous à la soirée du Prix de Flore en 2017, et depuis nous nous racontons assidûment nos vies. »