Captures de soi et de l’air du temps, les correspondances d’écrivains voyagent au gré des e-mails et des courriers. Comment résistent-elles à l’urgence de notre époque, et à la disparition progressive du papier ? Les écrivains s'écrivent-ils toujours ? Enquête.
S’il est bien une forme d’écriture rebelle qui fuit toute convention, qui échappe à toute classification, c’est celle d’écrire des lettres. Bien que le papier déserte de plus en plus nos échanges du quotidien, les auteurs, eux, ne rechignent pas pour autant à prendre la plume pour causer littérature, se raconter leurs doutes, leurs petites victoires, leurs projets en cours, ou de simples banalités, alliant ainsi le prosaïque au poétique. Avec le temps, le support change, mais le désir d’échange demeure. À l’heure où l’on fustige la dématérialisation de nos écrits, à quoi ressemblent donc les correspondances des écrivains d’aujourd’hui ?
Pour la romancière Sarah Chiche, autrice de Saturne et des Enténébrés (Seuil, prix de la Closerie des Lilas, 2019), ces interactions s’effectuent surtout par mails, avec des écrivains, des cinéastes, des comédiens et même parfois des scientifiques. Les lettres sont autant de fenêtres ouvertes sur d’autres arts et disciplines. Si Sarah Chiche préfère ne pas nommer ses interlocuteurs favoris, c’est précisément parce que cet espace préservé lui est si précieux, et qu’il est aux antipodes de ce qu’elle qualifie de « déversoir des réseaux sociaux ». En effet, précise-t-elle, « il y a une intimité de la correspondance qui fait aussi son exigence, sa beauté. » Mais de quoi est-il question dans ces innombrables discussions ? « Ce peut être le tombé ou l’obsession d’une phrase, des pensées sur un plan de film, ou bien mon chagrin comme mon amusement sur certains excès de notre époque. » En vérité, Sarah Chiche se dit « assez secrète » quant à son propre processus d’écriture. « En général, quand j’écris un livre, aucun de mes amis n’est au courant. Je fais strictement comme si de rien n’était. Et puis un jour, le livre sort. C’est toujours la même petite phrase : “Tu ne m’avais rien dit !” Ne rien dire est parfois une preuve d’amour, je crois. Je n’aime pas parler des états par lesquels je passe quand j’écris. Les plus grandes joies sont secrètes, les enfers les plus noirs, aussi. »
Les correspondances, antidote aux réseaux sociaux
La pratique de la lettre est moins nimbée de mystère pour l’écrivaine Carole Zalberg, autrice du roman Où vivre (Grasset, 2018), et s’apparente davantage à un « compagnonnage ». Parmi ses compagnons de route les plus fidèles, Jérôme Ferrari, la regrettée Pierrette Fleutiaux, mais aussi Antoine Wauters, Nathalie Kuperman, Yahia Belaskri et Angélique Villeneuve. Autant d’auteurs avec qui elle discute régulièrement des aléas de l’écriture et de l’inspiration, mais surtout avec qui elle « s’autorise à se montrer dans toute [s]a banale vulnérabilité. On en rit, ce qui fait un bien fou. On avance mieux, plus droit, plus loin quand on avance ensemble », déclare-t-elle.
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