Après Chirac, De Gaulle, et Mitterrand, c’est Pierre Mendès France qui, cette semaine à dix jours du premier tour, nous écrit au sujet de l’élection à venir. Comme à son habitude, PMF tient un langage de vérité grâce à la complicité de la plume de Stéphane Nivet.
Par Stéphane Nivet*
Chères Françaises, chers Français,
C’est un spectacle de grande désolation qu’offre notre pays à la veille des élections présidentielles et législatives du printemps. J’ai consacré une très grande partie de mon engagement et de ma vie à proposer une « République moderne », en essayant notamment de prévenir notre Nation des risques liés à personnalisation du pouvoir et à son corollaire, à savoir l’abaissement du Parlement. Je constate aujourd’hui que mes préventions étaient largement fondées. Notre vitalité démocratique est réduite à l’anémie et la confiance des citoyens dans leurs représentants s’est tarie. Les différentes options politiques qui s’offrent au jugement des Français, le seul qui compte, se résument à un concours de beauté et à une surenchère d’exagération. L’incarnation du pouvoir a pris le dessus sur l’incarnation des projets, nous entraînant sur les chemins de l’incertitude et de la vulnérabilité.
Le général de Gaulle, en établissant la Vème République, s’engageait à sortir le pays des turbulences de la IVème République. Il semble désormais acquis que cette promesse s’est éteinte. Non pas que le Parlement soit gagné par l’instabilité chronique ou les majorités éphémères. Non pas que le pouvoir exécutif soit dépourvu de moyens d’agir. Mais chacun peut constater qu’un gouffre s’est installé entre le peuple et ses représentants.: les élections sont désertées, affectant durablement la légitimité du pouvoir politique. Nos institutions ont progressivement glissé avant de s’affaisser : le Président ne préside plus mais il gouverne au préjudice d’un gouvernement cantonné à administrer un État désorienté, impuissant et taraudé par la mauvaise habitude de la normalisation des circonstances exceptionnelles.
Cette situation a des conséquences immédiates. Notre régime de libertés est la proie des aventuriers et des extrémistes qui, profitant du vide, nous garantissent le néant. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’un candidat à la Présidence de la République se réclamant du Maréchal Pétain puisse obtenir l’accessit du suffrage universel. Entendre de cet homme que le régime de Vichy mériterait presque d’être applaudi pour sa politique en faveur des juifs est d’une grande indignité pour la France et nous rappelle, avec René Char, que « certaines époques de la condition humaine subissent l’assaut glacé d’un mal qui prend appui sur les points les plus déshonorés de la nature humaine ». Le député Jean-Marie Le Pen qui m’expliquait à l’Assemblée que je cristallisais « des répulsions patriotiques, presque physiques » doit être comblé devant ce spectacle affligeant. Eric Zemmour, c’est la revanche de Maurras.
“Aller au devant de l’avenir”
Mais mon inquiétude redouble devant la situation de l’Europe. La guerre revient sur un continent qu’on pensait à jamais guéri des pulsions d’autodestruction. Le nationalisme, de nouveau, a repris les armes et la sécurité collective est indexée au bon vouloir d’un tyran que certains, depuis la France, soutiennent et admirent pourtant depuis des années. Sous nos yeux, les images des colonnes de réfugiés ukrainiens fuyant leur propre pays nous obligent autant qu’elles nous hantent. L’Europe est au pied du mur et paye aujourd’hui lourdement ne n’avoir pas su construire autre chose qu’un marché et une monnaie uniques. Aucune organisation politique, fût-elle animée par les plus grands desseins et les plus grandes ambitions, ne survit sans adhésion démocratique. La part du citoyen dans notre destin commun n’est pas une quantité négligeable. De cette faiblesse ne peut naître qu’une grande impuissance. Il ne faudrait pas que l’Ukraine soit appelée à être les Sudètes du XXIème siècle, une première étape d’un engrenage impossible à arrêter. L’Europe de la Défense était une question sous mon ministère. Plus que jamais elle le demeure encore.
L’horizon est morne et l’optimisme me manque. La gauche est ensevelie sous les défaites. A perdre le sens du peuple, la gauche universaliste s’est résignée à disparaitre sans même avoir combattu. Elle a tourné le dos à sa propre promesse, celle de l’émancipation, du progrès et de la raison. C’est dans la jeunesse qu’il faut investir pour renouer avec l’optimisme et avec l’énergie des combats à mener. Car comme elle, « j’aime mieux aller au-devant de l’avenir que d’attendre ce qui arrivera » (John Glenn).
Pierre Mendès France
* Stéphane Nivet est chroniqueur et auteur, avec Alain Jakubowicz, de “Vous étiez belles pour l’éternité. Elles ont témoigné au Procès Barbie”, Le Progrès. Préface de Béate Klarsfeld.
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