Chers amis, chères amies, ce matin alors que les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent, il y a comme une envie de vous en apporter une bonne. J’entrevois déjà vos sourcils froncés au fond de votre lit, et vous vous demandez quelle mouche d’optimisme est venue piquer l’auteur de ces lignes pour débuter la lettre du dimanche de la sorte.
Patience, patience les amis. Oui, il convient d’être optimistes. Du moins d’essayer, ne serait-ce que pour montrer l’exemple. Comme chaque moment charnière de l’Histoire, l’agression russe de l’Ukraine constitue un moment de bascule. Chacun pressent bien que ce qui s’écrit devant nous est une nouvelle histoire qui démarre. Dans cette histoire, évidemment, il y aura du malheur, des larmes, de la sueur et de la difficulté. Les images qui chaque jour arrivent d’Ukraine en sont le symbole le plus flagrant. Clairement, cette guerre laissera une empreinte indélébile en Europe. Elle est une guerre européenne, âpre et qui sera longue… Eh oh, tu ne nous avais pas promis de l’optimisme ?
Patience, nous y venons. Où en étions nous ? Ah oui, la guerre âpre et longue.
Mais comme dans un tableau de Soulages, dans cet Outrenoir que constituent les événements en cours, il y a de la lumière. Cette fois c’est sûr, l’auteur de ces lignes est saoul vous dites-vous. Et bien, non, même pas. Il est sérieux. Profondément.
Voici donc quelques éléments lumineux dans l’Outrenoir ukrainien. Hier après-midi à Paris, comme dans de nombreux endroits en France, et en Europe, des milliers d’Européens et d’Européennes se sont rassemblés pour exprimer une solidarité avec le peuple ukrainien, ainsi qu’une colère contre ceux qui veulent détruire l’idéal démocratique. Entendre l’hymne de ce pays résonner à Paris était d’une force émouvante rare. Elle vient souligner ce qui nous lie. Profondément. Puissamment.
De même, les associations humanitaires font savoir que les dons affluent. Trop de vêtements, disent-elles. Signe, là encore, que pour chacun et chacune, les Ukrainiens sont des frères et sœurs en humanité. Que leur drame est notre drame. Nous sommes tous Américains, écrivait à juste titre Jean-Marie Colombani dans Le Monde, au lendemain du 11 septembre. Nous sommes Charlie, disions-nous après le 7 janvier. Nous sommes tous Ukrainiens, écrivons-nous ici, ce matin. Car nous sommes liés. Profondément. Non pas liés par des échanges économiques ou l’appartenance à l’Otan ou à l’UE, nous sommes liés par des racines plus profondes. Beaucoup plus profondes.
De même, encore, comment ne pas être saisi par cette brigade internationale qui semble prendre forme en Ukraine ? Autre luminosité folle dans ce magma de noir : la réaction politique forte des pays européens. Qu’on le veuille ou non, quelque chose est né de politique de cette période. Non pas pour sauver une économie ou que sais-je encore, mais pour sauver une idée. l nous faut amplifier cela car, ce qui nous lie, c’est la culture européenne commune. Cette culture européenne commune est là. Elle nous tend les bras. Elle s’appelle Mozart, Einstein, Zweig, Erasme, Dante, Goethe, Hugo et tant d’autres
C’est parce que nous avons tous lu cela que nous nous sentons proches. C’est cela le lien indéfectible qui nous vient du passé et tend vers l’avenir. Dans un livre magnifique, intitulé « Le Grand tour » en hommage à ces voyageurs explorateurs qui avaient envie d’aventure mais aussi de rencontrer l’Autre, Olivier Guez a eu la bonne idée de réunir 27 écrivains des différents pays de l’Union pour dire ce qui nous rapproche. Les mots. Les signes. Les outils de regard sur le monde. Si proches. Si près les uns des autres. En refermant l’ouvrage, une certitude : ce qui nous unit est plus fort que tout. Plus fort que le nucléaire, plus fort que la folie destructrice d’un homme et de sa clique de parvenus, plus fort que les bombes sur des maternités. Nous sortirons plus grands et plus forts de tout cela. Ne vous avais-je pas promis de l’optimisme. Évidemment, les Cassandre se moqueront. Riront de cette beauté factice contenue dans ces lignes. Répondons leur que les Cassandre n’ont jamais fait l’Histoire. Tout au plus, parfois, ont-elle eu raison. Mais ce fut rare. Nous préférons ce matin, et en général dans la vie, nous tourner vers l’universalisme et vers les mots du Suédois Bjorn Larsson qui dans l’ouvrage collectif dirigé par Guez, à la question de ce qu’est être européen, répond : “Jusqu’à nouvel ordre, je dirais donc qu’un Européen, un « vrai », est une personne qui peut s’imaginer sérieusement vivre, travailler, entretenir des amitiés, faire des enfants et aimer dans un pays européen ; quelqu’un prêt à apprendre une ou plusieurs langues; autrement dit quelqu’un disposé à laisser derrière lui sa nationalité d’origine et à en adopter une autre, voire à laisser en suspens la question même de son appartenance nationale imposée plutôt que choisie.”
Le patriotisme plutôt que le nationalisme, en somme. L’amour des siens, plutôt que la haine des autres disait le poète Gary. Comme un miroir qui est aujourd’hui tendu par ce qui se passe, devant nous, en Ukraine et qui nous oblige, forcément, à nous décentrer. Pour finalement se rapprocher de notre centre commun : cette culture qui nous unit. Plus que jamais, nous sommes tous Ukrainiens.
Bon dimanche,
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