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Quelque chose de Georges…

Brassens

C’était une journée ordinaire dans un collège ordinaire. Le professeur, ce jour-là, avant de commencer le cours nous a dit : “Aujourd’hui je vais vous raconter quelque chose que l’institution scolaire nous conseille de ne pas forcément aborder avec vous. Mais c’est pourtant quelque chose qu’il faut connaître pour savoir que notre pays parfois se trompe et qu’il faut rester toujours exigeant avec lui.” Le silence dans la classe s’est fait. Nous étions plus attentifs que d’habitude. Il a parlé doucement. De cette manifestation pacifiste d’immigrés algériens. De cette charge de la police de Papon. Des morts. Nombreux. De la volonté de l’État de mettre cet épisode honteux sous le boisseau. Il nous narra le 17 octobre 1961. Durant le cours, ce jour-là, nous avions vraiment l’impression que le professeur nous faisait un don. Le don d’un savoir. Le don d’une transmission, aussi difficile soit-elle. Le don d’une indignation. A nous, ensuite de nous construire avec. C’est certainement ce que faisait aussi, Samuel Paty dans sa classe à chaque fois qu’il se tenait debout devant ses élèves qu’il considérait comme intelligents et capables de comprendre. D’un professeur à l’autre.

Ce même professeur d’Histoire-Géo aimait nous raconter sa jeunesse, et entremêler les savoirs. Je me souviens qu’il disait souvent une phrase que j’avais entendu mes parents répéter. “Tout est politique”.
Vaste programme comme dirait l’autre… Quoiqu’il en soit, ce professeur aimait raconter, par exemple, comment une œuvre d’art pouvait résonner avec l’actualité mais aussi avec l’histoire. Il avait une autre manie, qui nous faisait beaucoup rire. Certains se moquaient. D’autres jouaient le jeu. Les derniers restaient muets mais aimaient ces instants hors du temps. Le professeur en question se mettait à chanter du Brassens. Il avait une affection toute particulière pour “La mauvaise réputation“. Peut-être croyait-il, lui aussi, en avoir une. Il est vrai qu’il suscitait toujours soit une admiration sans borne, soit une détestation colossale de tous les gens qui parlaient de lui. “Au village sans prétention, j’ai mauvaise réputation, la musique qui marche au pas cela ne me regarde pas”… chantait l’autre. Il aimait faire des passerelles. Raconter l’histoire des “imbéciles heureux qui sont nés quelque part” pour fustiger l’esprit de clocher.

Il nous parlait souvent de Jean-Marie Le Pen après. Étonnamment. Je me souviens, aussi qu’il nous parlait d’amour. Des chansons de Brassens qui disent l’amour. “J’ai rendez-vous avec vous“. Mais aussi des idées. En général. Outre Brassens, il nous parlait de Montand. De Sartre. De Camus. Des différences entre les uns et les autres. C’était un cours d’histoire, mais c’était aussi un cours de vie. Certains restaient à la fin des cours pour discuter avec lui. Nous lui parlions des livres lus, des émissions de “Lovin Fun'” aussi. Bref, nous parlions de nous.

Je me souviens, enfin, qu’il aimait particulièrement la chanson de Georges “Le temps ne fait rien à l’affaire” qu’il nous chantonnait bravache quand l’un ou l’une de nous faisait un peu l’imbécile. “Quand on est con, on est con, le temps ne fait rien à l’affaire“, dit la chanson. Tiens, concordance des temps, cette chanson de Brassens est sortie à peine deux semaines après la tragédie du 17 octobre 1961. Comme cela, sans le dire, ce professeur a contribué à nous forger une conscience. Il nous a appris à chercher des résonances entre les événements, les arts, l’histoire, et la vie. Ce matin, cette semaine, alors que se téléscopaient les commémorations pour Samuel Paty, l’anniversaire de la naissance de Brassens, et qu’un article sur le 17 octobre 1961 s’est glissé sous nos yeux, nous avons instantanément pensé à lui. Comme son idole, il s’appelait Georges.

Alors que nous perdons parfois le sens des faits historiques, que des imbéciles nous expliquent que Vichy était une partie de plaisir pour les juifs français, et que des abrutis estiment toujours que Paty n’aurait pas du montrer les caricatures… Il faut souhaiter à tous les écoliers, collégiens, et lycéens de France de croiser des Samuel, des Georges, des Nathalie et de chanter “Quand on est con, on est con, le temps ne fait rien à l’affaire.”

Bon dimanche,

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