Les crayons sont taillés, les cahiers 24×32 sont presque dans les cartables, et les stylos quatre couleurs sont armés. La rentrée des classes est là. Nous y sommes. Après une année très particulière voire “abracadabrantesque” comme aurait pu dire un président de la République, c’est peu dire que l’école est attendue, voire réclamée comme jamais par les parents et les enfants. Attendue et réclamée car le manque que son absence a constitué pendant ces longues semaines, nous a rappelé à quel point elle était précieuse et cruciale pour le bon fonctionnement de la société toute entière. Elle est cruciale pour le fonctionnement, mais aussi pour la continuité de notre idéal républicain.
“Je vous vois donc assis à vos bancs, mes petits amis, encore un peu intimidés par la rentrée. Il se peut qu’un rayon de soleil, pénétrant par la fenêtre vous rappelle soudain les moments de liberté dans les bois ou dans les champs et que, tout naturellement, vous vous posiez la question : pourquoi donc faut-il aller à l’école ? Je vais vous le dire : vous serez dans peu d’années des hommes, des femmes chargées de travaux importants – pour vous, pour vos enfants – (car vous aurez des enfants à votre tour) et pour la France, que vous aimez de tout votre cœur. Il faut que vous soyez forts pour ces travaux futurs, il faut que vous soyez instruits, il faut que vous connaissiez bien le pays que vous ont transmis vos grands-parents, il faut que vous connaissiez bien les choses utiles, utiles à ceux qui gagnent leur vie, à ceux qui produisent, dans les campagnes comme dans les villes. (…). Il faut à la France beaucoup de savants, de travailleurs, d’agriculteurs, d’ingénieurs, de techniciens de toutes sortes ; mais elle a aussi besoin surtout d’hommes et de femmes honnêtes et bons, dont la conscience soit aussi fidèle au devoir que la boussole est fidèle au pôle, d’hommes et de femmes qui tiendront, quoi qu’il arrive, pour la justice et la vérité. Voilà ce que l’école peut faire de vous et voilà pourquoi il vous faut aussi l’aimer de toutes vos forces”.
Aimons notre école
Ces mots d’amour intense pour l’école, formatrice de citoyens de toutes sortes, sont ceux de Pierre Mendès France (PMF), prononcés lors d’une célèbre causerie radiophonique le 18 septembre 1954. Ils résonnent avec notre actualité. Notre besoin de faire collectif et notre interrogation sur ce qui a entraîné le délitement de ce sentiment d’appartenance collective à quelque chose de plus grand que nous. Ces mots de PMF disent la profondeur de la croyance qu’à une époque les dirigeants de ce pays avaient dans l’école pour justement faire en sorte que ce pays puisse continuer et grandir. “Nous travaillons pour les générations futures” dit d’ailleurs dans “la Gloire de mon père” le père de Marcel, instituteur au grand cœur. Alors, soyons fous. Alors que la rentrée s’amorce formons des souhaits, formulons des rêves, et battons-nous chacun et chacune à notre niveau pour qu’ils adviennent.
Rêvons par exemple que cette école qui redémarre et reprend ses droits puisse susciter chez les élèves autant de passion et d’envie que dans ces mots de PMF. Rêvons aussi que dans cette école de la République, il puisse à nouveau y avoir la conjonction de l’exigence intellectuelle et la volonté de ne pas laisser les élèves sur le quai, sous prétexte qu’ils n’auraient pas les capacités requises. Il y a de la place pour tout le monde. C’est d’ailleurs ce que disait Mendès France : “il faut des ingénieurs, des savants, des agriculteurs et des techniciens de toutes sortes”. Tout est possible pour peu que la volonté d’élévation soit présente tant dans l’institution scolaire dans son ensemble que chez chaque enseignant, chaque parent d’élève et chaque élève. Rêvons que des fils et filles d’ouvriers deviennent préfets de la République.
Enfin, alors que s’ouvre cette semaine le procès des attentats de Charlie Hebdo, rêvons que cette école républicaine retrouvée puisse réaffirmer, réexpliquer, réinventer, et surtout apprendre et réapprendre ce qu’est dans notre pays le droit à l’irrévérence. L’irrévérence et l’esprit critique sont les deux face d’une même médaille : celle de l’esprit libre, rationnel et instruit. Cela tombe bien, une partie de tout cela s’acquiert à l’école. Une autre partie sur les chemins de la vie une fois que les principes sont bien compris et acquis à l’école. Cela peut aussi s’apprendre dans les livres. Peut-être est-il utile alors que ce procès s’ouvre de relire “Éloge de l’irrévérence” de Richard Malka et Georges Kiejman (Grasset) qui regroupe les plaidoiries des deux avocats de Charlie Hebdo lors du procès des caricatures de Mahomet en 2006/2007. Dans son intervention d’alors, Richard Malka insistait sur la façon dont les émotions et donc les particularités de chacun et chacune, en République, ne pouvaient en aucun cas faire loi, ni créer des différences. “La France est le pays d’Europe qui comprend la plus grande communauté musulmane, la plus grande communauté juive et la plus grande communauté bouddhiste. Quelle est la meilleure garantie pour ces communautés ? C’est le pacte républicain, c’est la laïcité qui fait que toutes les religions sont sur un pied d’égalité“.
Le pacte républicain. Le pied d’égalité entre les uns et les autres, peu importe d’où nous venons. Citoyens ensemble. Quel plus beau rêve pour une République ? Quel plus beau rêve pour un pays qui est l’héritier de la philosophie des Lumières ? Il y a tout cela et bien plus encore dans notre envie d’école en cette rentrée. L’école peut faire tout cela. Si nous l’aimons, elle le fera.
Bon dimanche,
L’édito paraît tous les dimanches matins à l’heure du café et des croissants dans l’Ernestine (notre lettre gratuite inspirante) puis sur le site le dimanche soir, ou le lundi matin.
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[…] puissant qu’il est pour notre République. (Ici, là, là aussi, encore ici et encore là, et toujours ici). Liberté d’expression, droit au blasphème et liberté de la presse. C’est tout cela […]