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Le dessinateur sans dessin

Kelly Sikkema Rq1MLxP5RgI Unsplash

Ce mois-ci, Thomas Mourier nous parle d’un livre qui réinvente le rapport entre littérature et BD. Superbe. N’oubliez pas qu’avec le code promo ERNEST vous pouvez découvrir Bubble, l’appli idéale des fans de BD pendant un mois sans engagement.

Avec la publication de Mike chez Gallimard, Emmanuel Guibert propose une nouvelle approche entre bande dessinée et G02601littérature. Ni autobiographie, ni biographie, ni livre de souvenirs, ni essai sur le dessin, ce récit est un peu tout cela à la fois.

Voici le texte qui va changer votre vision du dessin et vous faire aimer la bande dessinée. Livre clef pour les lecteurs d’ Emmanuel Guibert, ce texte est un des plus beaux que j’ai pu lire sur les sentiments ou les gestes de l’amitié, la solitude ou la mort ; et sa portée dépasse largement le seul intérêt pour le dessin ou des livres de l’auteur.

À une époque inédite dans l’histoire de l’humanité où nous faisons l’expérience de cette souffrance de ne pas pouvoir voir assez nos proches. La tristesse ravalée de ne pas pouvoir embrasser ou simplement toucher nos parents et grands-parents. Où nous prenons conscience que nous ne parlons quasiment qu’aux mêmes personnes depuis des mois, sans rencontres marquantes ou cette surprise hygiénique de découvrir un autre.

Ce livre nous rappelle que le quotidien est encore à questionner et qu’un geste simple — amical ou graphique — n’est jamais anodin.

Draw, à la poursuite du dessin

2020 C Abujak 3480 0Dans ce livre qui sort dans la collection Sygne de Gallimard, Emmanuel Guibert entame un récit à la première personne. Un choix qui fait sens au milieu d’une œuvre dédiée aux autres, où ses livres racontent les vies de certains de ses amis. Mike est aussi l’une de ses biographies, celle de Michael James Plautz, un ami avec qui il partage la passion du dessin, mais qui convoque le souvenir d’Alan, puis John & Juliette, héros du Photographe, qui sont là également pour Mike. Un livre sur l’amitié, où se croisent les figures majeures de cette vie de dessin, construit autour des pensées du narrateur durant les derniers souvenirs qu’il a de son ami Mike.

Le livre est une manière de consigner ses instants, de faire vivre ces souvenirs, mais aussi de les vivre. Guibert détaille comment les projets artistiques qui jalonnent sa vie sont tous liés à une amitié et comment cette pratique lui permet de créer une vraie relation. Le constat qu’il pose est terrible, combien de temps passons-nous avec nos proches, est-ce que nous leur accordons une vraie attention, où la pudeur ou la gène nous empêche d’être sincère ou spontané en amour ou amitié ?

Quand il se sait malade, Michael entreprend immédiatement la publication d’un livre regroupant ses dessins, peintures, poèmes se sera Draw. Il rappelle Emmanuel et renouvelle son offre de dessiner ensemble, de partager un moment de dessin. L’élément déclencheur de ce récit, ces quelques jours pour se dire au revoir et dessiner une première et dernière fois de concert, sera aussi celui de cette réflexion intime sur les mots et les gestes qu’on accorde aux autres.

Un auteur singulier

Si vous ne connaissez pas encore Emmanuel Guibert sachez qu’il est l’un des auteurs les plus prolifiques et emblématiques de la bande dessinée contemporaine. Chose rare, il s’impose à la fois comme l’un des dessinateurs les plus innovants et captivants du moment, interrogeant sans cesse sa pratique, ses outils et sa vision du dessin. Mais il s’illustre aussi comme l’un des grands conteurs, comme un scénariste brillant dont chaque projet fascine.

En tant qu’auteur complet sur son œuvre majeure : une série de livres biographiques autour de la vie de son ami Alan Ingram Cope dont il a déjà publié la Guerre d’Alan, l’Enfance d’Alan, Martha & Alan (tous publiés à L’Association) qui seront complétés par l’adolescence d’Alan pour clore le « cycle de sa voix » (ces livres issus des conversations enregistrées pendant 5 ans). Et qui seront complétés par d’autres livres sur leur rencontre et sur l’impact de cette amitié sur la vie et le travail de l’auteur.

Un autre travail de mémoire, de biographie et d’amitié en tant qu’auteur complet avec sa trilogie Le Photographe (Dupuis/Aire Le Photographe L Integrale Le Photographe L IntegraleLibre) en collaboration avec le reporter Didier Lefèvre dont il relate les voyages en Afghanistan auprès de Médecins sans frontières. Un album qui a la particularité d’associer la photographie au dessin, d’associer rush, planches contacts et clichés à la narration pour enrichir cet album documentaire qui reste encore aujourd’hui un jalon important dans l’histoire du médium, des possibilités et de l’impact que peut avoir une bande dessinée.

En tant que dessinateur, il a collaboré avec de nombreux auteurs pour des séries toutes marquantes comme les Olives noires ou la Fille du professeur avec Joann Sfar, le Capitaine écarlate avec David B (tous publiés chez Dupuis). Ou le collectif Rupestres ! (avec Étienne Davodeau & Emmanuel Guibert & Marc-Antoine Mathieu & David Prudhomme & Pascal Rabaté & Troubs, Futuropolis)

En tant que scénariste, il a signé plus de 4 000 pages de bande dessinée jeunesse pour ses séries Sardine de l’espace (avec Joann Sfar ou Mathieu Sapin, Dargaud) et Ariol avec Marc Boutavant (Bayard Jeunesse).

Une vie de dessin

En 2020, Emmanuel Guibert a été distingué du Grand Prix 2020 du Festival international de la BD d’Angoulême pour l’ensemble de son œuvre puis est devenu le premier auteur de BD distingué par l’Académie des beaux-arts. Une double distinction qui éclaire bien son apport & son engagement dans tous les domaines du dessin qui relie la bande dessinée à un ensemble plus vaste que le genre où elle est souvent cantonnée.

Avec plus de 35 ans de carrière, depuis son premier album très technique Brune (Albin Michel), le dessinateur n’a eu de cesse d’expérimenter. Dans Mike il explique son rapport particulier au dessin, ses séances quotidiennes, son approche vitale de la pratique, ses envies ou son rapport aux outils.

En plus de son œuvre en bande dessinée, il a commencé à publier une série de carnets de dessins, mélangeant croquis, dessins d’observation, peintures, essais techniques, mais aussi courts textes pour compléter le volet « fictions ». Des livres à la fois esthétiques, mais aussi précieux pour comprendre son processus artistique ou sa vision de l’art. Dans Mike on retrouve en creux, comme une visite commentée les livres : la Campagne à la mer (Dupuis), Le Pavé de Paris (Futuropolis), Japonais (Futuropolis), Italia (Dupuis), et Légendes : Dessiner dans les musées (Dupuis) qui constituent la partie graphique de ce récit sans images.

Un beau récit de presque 300 pages qui parle d’amitié, de solitude et de pratique artistique. Un grand livre sur nos relations aux autres à travers le regard, les gestes que l’on fait ou ne fait pas, les pensées et les promesses autour d’une amitié née autour du dessin qui se prolonge jusqu’au dernier — mais peut-il y avoir un dernier dessin ?

La plupart des livres cités ont fait l’objet d’une critique sur le site appbubble.co : en savoir plus sur Emmanuel Guibert (dossier sur Bubble).

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Thomas Mourier. Spécialiste de la bande dessinée passé par Fnac.com et le Festival International de la BD d’Angoulême. Il  est le rédacteur en chef du site appbubble.co dédié à la BD, comics et aux mangas.

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? Son 1er livre Anthologie du 9ème Art : 150 œuvres cultes BD, comics, manga

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