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Génération Ouin-Ouin : La pleurnicherie n’est pas un humanisme

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“La génération ouin-ouin” avait écrit Bret Easton Ellis dans son essai “White” pour qualifier une partie des millenials. Caroline Fourest va encore plus loin et parle d’une “génération offensée” qui devient une “police de la pensée”. Cette semaine Frédéric Potier a lu le vivifiant essai de Caroline Fourest qui défend un humanisme universaliste et s’inquiète des faux procès en appropriation culturelle. Indispensable. A noter que la semaine prochaine, Ernest vous fait entrer dans la bibliothèque de Caroline Fourest.

Après une échappée engagée en faveur des combattantes kurdes avec son excellent film “Sœurs d’armes” (disponible aujourd’hui en DVD), Caroline Fourest nous revient avec un nouvel essai décapant. Elle nous revient cependant avec des nouvelles pas vraiment rassurantes des États-Unis où se propage une nouvelle hystérie collective à propos du concept “d’appropriation culturelle”. Késaco ? L’appropriation culturelle est la pratique consistant à s’approprier des codes ou des symboles culturels d’un groupe sans en partager l’histoire ou sans en connaître la pleine signification. Les dénonciateurs de l’appropriation culturelle ont ainsi par exemple reproché à Madonna le port d’une tunique berbère improbable ou à la chanteuse Katy Perry d’arborer une coiffure composée de tresses blondes (les tresses devant être réservées selon eux aux Afro-américains). A la suite d’une intense campagne harcèlement sur les réseaux sociaux, Katy Perry a été contrainte à un larmoyant exercice d’excuses face à ce qui ressemble à un nouveau délit de blasphème.

Tout cela serait risible et à renvoyer aux pages débats des magazines de mode si cette tendance ne s’inscrivait pas dans un mouvement beaucoup plus global faisant de l’identité la grille de lecture de l’organisation de la société. Le cinéma américain a déjà largement cédé en réservant certains rôles à des acteurs en fonction de leurs origines, de leur épiderme ou de leur genre. Pourtant le propre même du jeu d’acteur n’est-il pas de pouvoir incarner des rôles très différents ? “Faut-il trouver un homme bleu pour jouer dans Star Trek ? Et surtout qui va jouer les zombies ?” se moque l’auteur…

Sortir de l’enfermement identitaire

Au-delà du monde du divertissement, Caroline Fourest cite de nombreux exemples effrayants de facultés américaines, dont certaines parmi les plus prestigieuses, renonçant à des lectures, des débats, ou même des œuvres d’art par peur “d’offenser” des étudiants dans leur “identité”. Les instances universitaires allant jusqu’à créer des “safe zone” où les étudiants pourraient être préservés dans leur identité… Les blancs avec les blancs, les trans avec les trans, les musulmans avec les musulmans… l’enfermement identitaire dans toute sa splendeur… On le voit, la dérive victimaire d’une certaine sociologie gauchiste aboutit à remplacer la lutte des classes par la lutte des races avec tous les risques y afférents (Cf. l’excellent ouvrage d’Amin Maalouf devenu un classique Les identités meurtrières. Ernest l’avait interrogé longuement). Les individus se trouvent enfermés dans des cases (religion, origines, orientation sexuelle) dans la plus complète négation des processus de créolisation et de métissage (Edouard Glissant serait horrifié de tout cela). “On finit par se demander si les obsédés du procès en appropriation culturelle ne rêvent pas d’un monde monoculturel, où tout le monde s’habillerait, se coifferait et mangerait selon son origine” s’interroge Caroline Fourest. J’avoue que cela m’inquiète grandement. Origine du Béarn, je serais ainsi condamné à aller travailler en béret, espadrilles et bermudas Serge Blanco… J’ai bien peur que mes tutelles ministérielles n’approuvent pas complètement un tel accoutrement que je réserve normalement à mes vacances estivales !

Hélas, ces phénomènes commencent à inspirer également des collectifs en France. On se souvient de groupuscules empêchant la représentation d’une pièce antique à la Sorbonne au motif que les acteurs portaient des masques pour jouer des personnages originaires d’Afrique (alors même que c’était ainsi que se pratiquait le théâtre en Grèce). Les ayatollah de l’identité n’hésitent pas à intimider, menacer, quitte à interdire tout débat. C’est ainsi que furent annulés à Bordeaux une conférence de Sylviane Agacinski au motif qu’elle était opposé à la PMA ou une formation à Paris sur la prévention de la radicalisation du journaliste Mohamed Sifaoui parce que cela offenserait les convictions des étudiants…. “A tout relativiser, les inquisiteurs ne savent plus faire la différence entre un démocrate et un dictateur, en protester et censurer” en conclut l’auteur.

La lecture de ce brillant essai achevée, on a juste envie de hurler : “Reviens Césaire, ils sont devenus fous !”.

Toutes les chroniques de Frédéric Potier sont là.

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