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Rencontre avec le prix Goncourt des Gilets Jaunes

Ernest Mag Robert Medioni

Inusable Denis Robert. Le journaliste, romancier et documentariste reprend la plume et la caméra pour pister - une nouvelle fois - les mécanismes financiers et économiques qui polluent notre démocratie. Le tout en gardant l’œil ouvert sur le monde. Et notamment sur la crise des Gilets Jaunes qu'il juge "essentielle et historique". Rencontre.

Ernest Grande Evasion RobertJeudi 10 janvier, dans le 10ème arrondissement de Paris, dans les locaux de la société de crowfunding KissKissBankBank, Denis Robert (nous l’avions rencontré pour son dernier roman et pour une discussion sur le journalisme) et Yannick Kergoat (réalisateur des nouveaux chiens de garde) donnaient le coup d’envoi de leur campagne de crowdfunding pour tenter de récolter 100 000 euros. Leur but ? Réaliser un film documentaire à la Michaël Moore, intitulé La (Très) Grande évasion. Le sujet ? Pister et révéler les différentes techniques de fraude fiscale et surtout montrer comment ces 1000 milliards d’euros évadés chaque année pèsent lourd dans le budget global de la France.

Quelques heures avant le début de la soirée, nous retrouvons Denis Robert dans un troquet bobo à quelques encablures de chez KissKiss. Denis Robert a le sourire. La campagne, en deux jours, alors que seul le premier cercle des deux réalisateurs était au courant a déjà dépassé les 10 000 euros récoltés. Denis Robert a le sourire du combattant qui repart pour un tour. « Je ne voulais plus faire ce genre d’enquête, mais le producteur et Yannick sont venus me chercher. Le sujet vaut le coup et puis personne ne veut le financer », explique celui qui sait ce que cela veut dire de s’attaquer à un tel morceau d’enquête. Cela veut dire beaucoup de joie, mais aussi beaucoup de coups à prendre.

Surtout, Denis Robert a la pêche de celui – enquêteur – qui tient un sujet qui parlera au plus grand nombre. Cela avec le sentiment de coller à un momentum. Momentum que Denis Robert a également su sentir dans le livre qu’il a publié avec Catherine Le Gall. Le titre du livre publié au Cherche-Midi dit déjà beaucoup : « Les Prédateurs. Des milliardaires contre les Etats ». Dans cette enquête fouillée, documentée, passionnante et écrite comme un livre de littérature noire dans un sens aigu du récit et de la dramaturgie, Robert et Le Gall suivent Albert Frère et Paul Desmarais. Ces deux milliardaires ont des profils semblables et ont hérité d'entreprises familiales qui ne valaient pas un clou, mais en bons libéraux, investissant dans les meilleurs juristes, associés aux plus grosses banques d'affaires, travaillant autant en France qu'en Afrique ou en Amérique du sud, ils ont bâti leur immense fortune en partie sur le dos des États. Il devait y avoir un secret de fabrication pour s'enrichir autant et aussi vite... Robertmadeingiletsjaunes

Robert et Le Gall s’intéressent tout particulièrement à l’affaire Quick. Une chaîne de fast-food belge mystérieusement rachetée en 2006 par la France, via la Caisse des dépôts et consignations. De là les deux journalistes mettent en exergue les relations troubles que peuvent entretenir milliardaires et politiques. Frère et Desmarais étaient propriétaires de Quick et cherchaient à s’en débarrasser. En 2004, ils tentent de vendre pour 300 millions d’euros. En vain. Ce n’est que partie remise.  Alors qu’aucun des fondamentaux de l’entreprise n’a changé, la Caisse des Dépôts et des Consignations rachete Quick à Frère et Desmarais pour 760 M€ et fait tout pour ne pas apparaître dans le montage financier. Une coquette somme qui permet aux deux prédateurs de monter en puissance au sein du capital de Suez, entreprise ultra endettée, passant de 2% à 10 %, pariant sur le fait que GDF sera privatisé et racheté par Suez alors même que le candidat Sarkozy affirme qu’il n’est pas question de céder au privé. Une fois élu il fera l’inverse. GDF et Suez fusionnent dès le mois de juillet 2007 pour donner ENGIE. L’État se retrouve minoritaire et la plus-value de plus d’un milliard est pour les deux hommes. De quoi selon Robert nourrir des révoltes. De quoi nourrir la colère du peuple. Celle des Gilets Jaunes que Denis Robert trouve « utile » et « nécessaire parce que les gens n'en peuvent plus et que la crise actuelle est aussi liée à cette organisation du monde avec des prédateurs et des proies », analyse-t-il. Plus largement, poursuit l’auteur « la colère se nourrit de ce sentiment viscéral d’injustice. Les gens ont froid. Le prix du gaz a considérablement augmenté depuis cette privatisation. Les Gilets Jaunes racontent aussi cela ».