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BD de toujours #4 – Imbattable (Tome 1) – un vrai super héros !

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Après Batman le mois dernier, Florian Ferry-Puymoyen revient avec BD de toujours, mais surtout avec le seul véritable super-héros de BD. Et croyez-nous, il est imbattable !

En France, d’après les derniers chiffres du SNE (Syndicat National de l’Edition), le marché des livres électroniques, quoiqu’en croissance, reste marginal pour la littérature (4%) comme pour le « grand public (hors littérature) ».
Je ne vais pas disserter sur la différence entre littérature et « grand public (hors littérature) ». Mon propos est bien plutôt de vous  parler ici du rapport physique à l’objet, comme support indispensable de notre passion : la lecture.

Lire, c’est aussi un rapport physique aux choses, à l’instant

Si on me demandait de décrire ma situation de lecture idéale, ce serait le soir, au calme, au chaud, dans un canapé confortable. Avec un peu de musique, ça ne nuit pas. Et un petit verre à la main ; là je suis obligé de vous rappeler que « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé ». Même si visiblement c’est l’abus qui est dangereux, pas l’alcool en lui-même ? Roland Barthes ne parlait-il pas du diplôme du vin en France…

Je m’égare, allez-vous dire ? Et bien pas tant que cela.La BD dont je voudrais vous parler ce mois-ci, « Imbattable » de Pascal Jousselin, ne peut s’apprécier qu’avec ce bon vieux support physique, avec une couverture rigide cartonnée ! Le fameux « 48 CC » pour 48 pages, cartonné et en couleurs de notre enfance : qu’il s’agisse des Tintin, Astérix ou autres Lucky Luke. D’ailleurs, l’éditeur (Dupuis) indique sur son site : « Pour une expérience de lecture optimale, nous vous recommandons de lire Imbattable dans sa version papier plutôt que dans version numérique. »

Imbattable, le seul véritable super-héros de la bande-dessinée

Il s’agit d’une série d’histoires plus ou moins courtes (en une planche et jusqu’à une douzaine) qui relatent les exploits d’Imbattable, le « seul véritable super-héros de la bande-dessinée ». Quand j’ai lu cette phrase, l’auteur m’a paru un peu prétentieux à propos de son personnage. Surtout après vous avoir parlé de Batman le mois dernier.
Après avoir lu d’une traite cet album, j’ai compris. A votre tour, tournez simplement quelques pages et vous comprendrez combien il s’agit du seul véritable super-héros de la bande-dessinée.

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Vous l’avez compris : le super pouvoir d’Imbattable est de pouvoir tordre l’espace et donc le temps de « l’art séquentiel » (Will Eisner) qu’est la bande-dessinée : il peut se déplacer d’une case à une autre, d’un strip à un autre !
Le jeu le plus classique est de présenter des planches organisées en un ruban de Möbius où Imbattable peut aller en bas de la planche, résoudre l’énigme et revenir à la situation initiale d’énoncé du problème, car comme l’explique Imbattable « le temps est espace et l’espace est le temps ».

L’une des grandes forces de Pascal Jousselin réside dans le détournement humoristique des codes de la BD. On se prend à sourire des réactions de surprise des personnages face au super pouvoir d’Imbattable. On s’amuse à relire la planche dans tous les sens imaginables, on guette la facilité (objectivement très peu) dans les raccords visuels entre les cases (en suivant ou non Imbattable sur toute la planche) pour pouvoir être lue quel que soit le sens de lecture.

L’effet comique est créé par la connivence établie avec le lecteur « contre » les personnages qu’affronte (ou aide) Imbattable. Les autres personnages, en effet, sont pris dans le fil narratif classique, passant d’une case à une autre, suivant le sens de lecture habituel en Occident (de gauche à droite et du haut vers le bas) ; ils ne peuvent donc pas comprendre qu’Imbattable peut s’évader d’une case à une autre, d’une scène à une autre, tout simplement en enjambant littéralement la fameuse « gouttière » ou séparation entre les cases d’une planche (voir les chroniques de Robin Walter).

Un procédé connu… pour des usages innovants

« Imbattable » est un livre qui aurait pu être enfanté par Gotlib, Fred & Marc-Antoine Mathieu. Oui cela fait beaucoup (et en plus c’est une liste sexiste).

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Mais revenons à nos moutons ou plutôt à notre girafe : je pense évidemment à l’excellente Girafe de Gotlib (Rubrique-à-brac Tome 2, 1971). L’à-propos de Gotlib est de choisir une girafe (c’est grand) qui ne tient pas dans une seule case. Gotlib va aussi jouer sur les franchissements de gouttière mais ne va pas jusqu’à jouer des décalages temporels induits.
A l’inverse, Imbattable peut d’une case à une autre procéder à un saut temporel (Imbattable s’envoie une lettre à son lui du passé) et/ ou aller dans un lieu différent (la lettre envoyée de chez sa grand-mère à chez lui).

Si pour Gotlib il s’agit surtout d’un jeu anecdotique, Pascal Jousselin systématise le principe de détournement de la grammaire de la BD et joue sur les décalages : ci-dessous, Imbattable est un peu en avance.

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Surtout, Pascal Jousselin va au-delà de la seule dimension d’art séquentiel, notamment dans la formidable histoire « Le Maître du langage » où le texte fait la part belle aux mots (et aux phylactères). Car la BD est un art visuel qui peut aussi s’appuyer sur des mots (au-delà du scénario comme fil narratif).
Juste pour le plaisir, quelques cases (géniales) où se mêlent un dessin type ligne claire caricaturale à un humour d’une grande finesse :

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L’intelligence dans la simplicité

D’un point de vue stylistique, Pascal Jousselin reste dans une approche classique : ligne claire « à la Tintin » (ou Spirou) avec des personnages principaux sans âge (Imbattable semble vivre de manière indépendante mais passe son temps avec sa grand-mère), sans dimension sexuelle, sans aspérité (d’ailleurs, on ne voit Imbattable qu’en tenue de super-héros : comme s’il n’était qu’un pur concept).

Mais c’est précisément la réussite de cette BD : formellement une apparence familière qui permet d’aborder avec simplicité et intelligence des sujets a priori complexes ou peu engageants : la notion de connivence/ pacte de lecture avec le lecteur, le fait d’activer littéralement l’œuvre (au sens d’Umberto Eco), certaines des trouvailles ne fonctionnant que grâce à la lecture, par le fait de tourner les pages.
Vous découvrirez ainsi un personnage dont le pouvoir est de jouer sur la représentation de la perspective en deux dimensions ou encore la création d’une sorte de trou noir… Mais chut, j’en dis déjà trop.

Car un des plaisirs de cette BD réside dans la surprise naïve de découvrir les astuces visuelles et textuelles, comme on a envie de croire à la magie quand on voit un magicien le temps d’une représentation. Le temps de la lecture.

Pascal Jousselin s’adresse aux enfants comme aux parents avec humour, sans nous prendre pour des imbéciles.
Ah, je ne vous l’avais pas dit : il s’agit d’une BD pour enfants, parue initialement dans le Journal de Spirou de 2013 à 2016, et sélectionnée lors du dernier festival d’Angoulême dans la rubrique jeunesse.

Merci aux bons conseils de la librairie de Paris : c’était une excellente idée de cadeau pour un enfant (8 ans) qui a adoré.
Son papa aussi !

Imbattable, Tome 1 Justice et légumes frais
Ed. Dupuis, 2017
NB : le deuxième tome est attendu fin avril 2018

La musique qui va bien : « Over the rainbow » (version de Israel Kamakawiwo`Ole)

https://youtu.be/9kENJm15zPU

Le verre qui va bien : un lait fraise.

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