Opération colonnes ouvertes deuxième session. Vous avez été encore plus prolifiques que lors de la première. Merci à vous tous et toutes cher (e)s ernestiens et ernestiennes. On démarre les publications avec une chronique originale et sympathique sur le livre “Le Blues de la Harpie”, de Joe Meno chez Agullo Editions. Le texte est signé Chloé Craff, la “fille qui broie de l’encre dans le noir”. Un livre qu’avait d’ailleurs défendu notre libraire, Valérie Caffier. Voilà, au moins deux bonnes raisons de le lire.
Par Chloé Craff
Cela faisait déjà un bout de temps que je voulais m’installer derrière la baie vitrée d’un “Dinner”. Pour commencer avec juste un mug de café, pas le temps de le finir qu’il se remplit à nouveau, comme tous ces passants plein de quotidien pressé.
Un qui te file ni la nausée, ni le manque de sommeil, de la flotte filtrée comme toutes ces histoires charriées sur les trottoirs.
Un lieu fantasme avec banquettes en skaï, rayées par les ongles rongés, tachées par les humeurs décalées.
L’odeur en surface, c’est une promesse de nourriture pour remplir la tête à défaut de faire du bien au corps, de celle qui te comble pour ne pas penser, que t’avale sans te rendre compte que c’est ta douleur que t’ingurgite.
Dehors, la petite bourgade s’agite, lève le voile.
Ton café est resservi jusqu’à ce que la porcelaine se fende, tellement tu crèves de tous ces bons sentiments façades. Un Hopper, pleine nature, avec des mannequins qui s’agglutinent aux fenêtres, en extérieur.
Sauf que Luce, qui remonte la rue après une nuit agitée, son ombre plein soleil, c’est plutôt “Des souris et des Hommes” et pas un tableau de l’américain way of life.
Fais attention à toi.
Le mot REDEMPTION, au fronton des églises blanches, c’est la mort. Psaume : “Tu es devenu et tu resteras” en lettres noires sur tableau blanc, la bichromie, rappel permanent d’un monde manichéen.
C’est moche le costard que t’as enfilé, Luce. Il te colle tellement à la peau que ses coutures t’ont bouffé jusqu’à l’usure. C’est toi qu’en crèves et pas ton fût mal taillé.
Tu aurais du te rappeler ce sermon quand ton père s’occupait encore des cochons :””ne frappe jamais quelqu’un ! C’est pas ta main qui fait le plus de dégât, c’est la chute qui suit”.
La chute de Luce, c’est la succession “effet papillon”. Pas besoin de changer de continent pour se prendre dans la gueule la théorie du Chaos, il suffit de revenir en terre natale.
Dis moi Luce, c’est comment de traverser des contrées blindées de rancœur ? Juste une rue qui parait un monde.
A chaque pas que tu fais, t’effleure une mine. C’est pas personnel, c’est que personne verra jamais plus ton reflet lisse, dans les flaques d’eau.
Le côté all inclusive de la tôle, c’est pas vraiment un argument déterminant pour un choix de destination. Ton billet composté : Pontiac, tout le monde le lit sur ton visage et t’as beau frotter, c’est ta peau qui part en lambeaux, pas ton histoire.
Tu peux toujours raconter à Junior tes rêves de bal de promo avec la benjamine aux jambes interminables du vendeur de voitures, ceux qui se retrouvent à siroter un pack de six à l’ombre des terrasses, t’offriront jamais de le partager.
Les idées noires de La Harpie, pollen puritain, tourbillonnent tellement que tous les pores sont bouchés. Tous exsudent cette violence qu’est même pas en toi, Luce. C’est comme la gangrène, elle grignote le vivant et tente de t’alpaguer en passant.
Le Blues de la Harpie, t’as pas envie de l’entendre dans la moiteur du soir, t’as peur de t’étouffer sous les regards mal-pensant et pourtant…
A écouter avec le livre et le café
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