Jamais en reste d’une enquête croustillante, notre reporter Frédéric Pennel a décidé cette fois-ci de partir en exploration. Le résultat de ses recherches est sans appel : messieurs, pour faire craquer les femmes ou les hommes, une recette : lisez des bouquins !
D’où vient le désir ? En voilà une des grandes énigmes de l’humanité. Cela fait belle lurette que le critère de la beauté est obsolète. Il a, en tous cas, perdu sa position monopolistique pour expliquer le phénomène d’attraction vers l’autre. Chimie et alchimie, exotisme et narcissisme : bien d’autres ressorts interviennent. La subversion ajoute aussi sa dose électrisante. Sans ressortir le bad boy so cliché, force est de constater qu’un Marlon Brando ou un Elvis Presley ont suscité du désir chez les femmes parce qu’ils rompaient avec les codes classiques qui régissaient les années 1950. L’Amérique, tout juste sortie du maccarthysme, baignait alors dans le puritanisme. Musique, gestuelle et dégaine : le diable semblait avoir pris possession du corps de ces mâles. De quoi hystériser les jeunes filles à jupes à pois et aux coiffures crantées.
Depuis, les sociétés se sont largement débridées et les codes esthétiques ont été reformulés. Dans la gamme masculine, les chasseurs de tendances ont dégoté le hipster pour le hisser au sommet de la sexytude. Plus sérieux et moins sauvage que le rocker de jadis. Corps soigné, barbe maîtrisé, assurance décontractée seraient les ingrédients pour appâter les dames en cette décennie 2010. C’est du moins l’image que les marqueteurs de tous poils nous renvoient. Mais les corps luisants ou la belle gueule, bien souvent, ne suffisent pas. L’homme sexy doit être outillé d’un instrument. Lequel ? Un smartphone dernier cri, des lunettes de soleil vintage ou la chemise bien coupée ? Non, un livre. Vous ne nous croyez pas, Messieurs ? Le succès du compte Instagram Hotdudesreading, suivi par un million de personnes, a démontré l’immense potentiel d’attractivité des hommes qui lisent. Y sont représentés des hommes – certes bien faits – qui bouquinent des livres dans le métro, dans la rue ou sur un banc. Banalement, ridiculement simple. Pourtant, ça plaît.
Le libraire contre le vendeur de micro-ondes
Le binoclard, moche et replié sur ses essais et romans ? Une image bien datée. Maintenant, lire des livres est au contraire l’argument massue pour choper. Ou tout du moins pour être approché. Des libraires témoignent ainsi de l’attrait que leur profession exerce sur les filles. Luc est l’un d’eux. Un jour, une cliente vivant à Londres engage avec lui une conversation sur Virginie Despentes. Tous deux ne partagent pas l’enthousiasme du public français pour l’auteure. Ils parlent également de leurs goûts communs. Elle doit ensuite partir et regagne Londres. Lors de son passage suivant en France, cette cliente le recontacte pour prendre un verre. Elle l’avait retrouvé sur Facebook. Ce qui « a dû lui prendre un long moment », nous assure Luc qui sévit sur le réseau social sous pseudo. Mais comment être sûr que la dimension livresque ait joué à plein régime dans l’opération de charme ? « Si j’étais vendeur de micro-onde chez Darty, pas sûr que ça aurait aussi bien marché, insiste-t-il. Avec la lecture, on a d’emblée 40 000 choses à nous dire. On est obligé de se revoir de poursuivre notre conversation. » Tous les commerciaux entretiennent un rapport de séduction avec leurs clients, mais chez le libraire, ce lien s’exacerbe.
Comment expliquer un tel renversement des perceptions ? L’attraction des intellos, qui emmagasine du savoir à transmettre ? C’est plus subtil que cela. Avoir à ses côtés un lecteur est un puissant antidote contre le mal du siècle : l’ennui. Dans son livre La sagesse des mythes, Luc Ferry porte aux nues le personnage d’Ulysse. Il loue sa curiosité, une curiosité qui fait de lui un homme irrésistible. Le conteur-philosophe rapporte dans son ouvrage une discussion révélatrice qu’il a eue avec une journaliste brésilienne. Le débat portait sur l’intérêt de posséder une « pensée élargie », chère à Kant. Cette pensée consiste à éprouver, un peu comme un enfant, une curiosité insatiable pour autrui et à repousser l’horizon de ses connaissance toujours plus loin. Cette journaliste lui fait observer que sur la plage, à Copacabana, « il y avait plein de jeunes gens insouciants et musclés, bronzés et heureux de vivre la vie comme un jeu innocent et incessant ». Pourquoi les détourner de ces divertissements qui les rendent heureux ? Pourquoi tourmenter les jeunes avec cette « pensée élargie » absconse ? La réponse de Ferry est cinglante : « aucune femme ne peut vivre bien longtemps avec un enfant gâté, qui ne connaît rien, qui n’a rien à raconter. S’il est très jeune et très beau, elle peut aimer le mettre dans son lit, comme les nymphes le font avec les compagnons d’Ulysse. Mais avec une déesse comme Circé ou Calypso, avec une femme de tête comme Pénélope, il ne fait pas le poids. »
L’homme qui lit est libre
L’autre explication de l’attraction du lecteur sexy serait davantage liée à notre époque hyper-connectée. Chacun est à l’affût du dernier tweet de telle personnalité pour le retweeter ou la meilleure publication pour nourrir son profil Instagram. L’instant présent nous tyrannise. Aucun lâcher prise n’est permis sous peine de déconnexion. Une déconnexion socialement mortelle. Prenez donc la peine de relever la tête dans le métro ou une salle d’attente chez le médecin : les yeux de la plupart des « attentistes » sont, comme vous l’étiez, rivés sur leur téléphone. Dans ce contexte, lire un livre représente une action quasiment subversive à l’épreuve du temps présent. Être un homme beau, branché et doté d’une vie bien remplie ne suffit pas. C’est dès lors qu’il devient lecteur, prenant la peine de rompre un temps avec sa tribu pour se connecter à une réflexion ou à un récit, qu’un homme devient vraiment sexy. Car, muni de son livre, il se suffit à soi-même. A cet instant, il est libre. On savait que l’homme libre chérissait la mer, on sait aujourd’hui qu’il lit. Et un homme libéré sera toujours plus attractif qu’un autre enchaîné à son fil Twitter, en attente d’être « liké ».
[…] nous parle du dernier roman intimiste d’Eric Holder. Un roman qui nous montre à quel point le métier de libraire est un métier sexy. Depuis le temps qu’on vous le dit […]