Alors qu’un professeur vient d’être assassiné à Arras par un terroriste islamiste, se plonger dans le roman graphique de Valérie Igounet. Dans « Crayon noir. Samuel Paty, histoire d’un prof », l’historienne Valérie Igounet et le dessinateur Guy Le Besnerais retracent l’engrenage infernal de désinformation et de radicalisation islamiste qui a conduit à l’assassinat du professeur Paty. Dans ce drame, il y a l’horreur, évidemment, mais il y a aussi tout un enchaînement d’événements, d’erreurs, de peurs et de quelques lâchetés. Tout cela est montré dans le roman graphique magistral d’Igounet et Le Besnerais.Extrêmement documenté, regorgeant de sources et de témoignages, l’ouvrage constitue un uppercut émotionnel.
Dans l’avant-propos, vous parlez d’une urgence à raconter, pourquoi ?
Valérie Igounet : C’est une urgence d’historienne. Le déclic s’est produit lorsque quelques heures après l’assassinat, j’ai vu circuler des théories du complot. Certains prétendaient que l’attentat relevait d’une opération sous faux drapeau destiné à détourner l’opinion de l’épidémie de Covid.
D’autres assuraient que le couteau retrouvé sur le terroriste ne pouvait pas avoir servi à décapiter quelqu’un, les derniers tressaient -déjà- une vérité alternative autour de ce qui c’était réellement passé dans la classe de Samuel Paty. Cela dépassait l’entendement. Il fallait dire les faits.
A partir de quelles sources avez-vous travaillé ?
Valérie Igounet : Je me suis d’abord rapprochée de Christophe Capuano, l’ami de Samuel Paty. Comprenant la démarche, il m’a ouvert des portes et raconté son ami. Ensuite, j’ai discuté avec ses collègues et me suis plongé dans le cheminement de l’assassin et le dossier judiciaire. Cela a été un long processus pour convaincre l’ensemble des protagonistes de narrer toute l’histoire. De la mécanique administrative de l’éducation nationale, aux débats qui ont eu lieu entre les professeurs. Tout cela pour approcher le réel.
Vous racontez aussi en détail qui était l’homme Samuel Paty…
Valérie Igounet : Oui, j’ai souhaité raconter l’homme derrière le professeur. Pour montrer ce qui l’animait, comment il travaillait, ce qu’il aimait. C’est pour cela que je narre son amour de la musique, de Pink Floyd de U2, ou de Cure, mais aussi la façon dont il vivait avec ses collègues et la joie qu’il pouvait transmettre notamment en jouant au ping-pong dans le collège.
« La désinformation peut conduire au crime »
Quelles sont les choses les plus surprenantes de votre enquête ?
Valérie Igounet : Le fol engrenage, surtout. Ainsi que le décalage entre la peur des enseignants et la déconnexion des réponses qui leurs sont apportées. Mais, de fait tout est surprenant. Tout est difficilement imaginable. Comment cela a-t-il pu être possible demeure ma question.
En plus de la radicalisation islamiste, il y a la submersion de la désinformation…
Valérie Igounet : La désinformation peut conduire au crime. Dans cette affaire, une femme ment, elle est relayée par son père apprécié dans sa communauté, lui-même soutenu par l’habileté d’un propagandiste islamiste. Le tout rencontre la radicalité d’un Anzorov. Un assassin qui cherchait à se venger de quelque chose. Il découvre la cible qu’est devenu alors Samuel Paty et passe à l’acte. Cette mécanique délétère peut se reproduire.
Votre album raconte les faits, expose les atermoiements de l’administration, les décisions prises, les débats entre les enseignants, sans jugement…
Valérie Igounet : Je réalise ici un travail d’historienne. Sur des sources. Sur des faits. Mon rôle n’est pas de les interpréter, mais de les livrer aux lecteurs afin qu’ils puissent appréhender la réalité de l’engrenage qui s’est mis en place.
Toutefois, il y a forcément quelques hypothèses qui sont émises sur les dysfonctionnements. Celui, de Pharos notamment, qui n’a pas vraiment marché comme il aurait fallu. Il est évidemment impossible de dire si l’assassinat aurait pu être évité, mais l’historien pose des questions. Ce dispositif de rondes policières était-il suffisant ?
Pourquoi avoir fait le choix du roman graphique ?
Valérie Igounet : Pour que l’histoire soit lue par le plus grand nombre, notamment les plus jeunes. Pour pouvoir discuter avec eux dans les collèges et les lycées et aussi, parce que je trouvais important de montrer le cahier de classe de Samuel Paty et la minutie de son travail. Je tenais absolument à cette mise en image.
Elle rend le propos plus fort, plus incarné. J’ai choisi aussi le roman graphique car il me paraissait crucial de porter la réflexion sur le rôle des réseaux sociaux dans la montée de la haine et de la désinformation et de pouvoir tendre ce miroir aux jeunes avec qui je serai amenée à débattre du livre.