Nous les avons aimés en grand format, les avons conseillés au moment de leur sortie. Parfois nous les avons même découverts pour vous. Ils sont en poche. Profitez-en !
Envolez-vous !
Dans une rentrée littéraire, il y a toujours une pépite inattendue. Un premier roman, le nouvel opus surprenant d’un auteur chevronné, ou un ovni. Cette rentrée 2021 ne déroge pas à la règle et c’est un premier roman qui touche au cœur. Il raconte l’histoire vraie de Franz Reichelt cet inventeur un peu foutraque qui le 4 février 1912 a sauté du haut de la Tour Eiffel pour essayer son “costume parachute d’aviateur”. Des caméras sont présentes. Le parachute ne s’est pas ouvert et ce fut l’une des premières fois que la mort était saisie en direct. Mais là n’est pas totalement le sujet du livre. Ce qui intéresse Etienne Kern c’est le parcours de Franz. C’est sa volonté de réussir son pari avec son invention, c’est la façon dont cette quête l’éloigne de ses proches et l’habite aussi sans raison comme quelque chose qu’il est contraint de porter. Franz ressent d’ailleurs cela comme une forme de blessure. Peut – on avancer avec ses blessures, éternelle question. Cela parle aussi avec pudeur et délicatesse d’un homme qui, finalement, se perd.
Un parcours singulier à résonance universelle
L’autre originalité du roman, au-delà de se plonger dans la tête de Franz pour tenter d’imaginer ce qui le pousse à aller au bout de ce geste complètement fou, tient également dans les chapitres marqués par une graphie en italique, où Kern interroge sa propre fascination et tendresse pour Franz. Ce que cela lui renvoie. Ce que cela lui rappelle quant à ses propres disparus. L’ensemble est sobre, intelligent, délicat, plein de finesse et de poésie. Les personnages sont forts, ils nous emportent et nous intéressent. En racontant l’histoire de ce personnage, Kern nous parle aussi de la passion que les Français au début du 20e siècle ont nourri pour tout ce qui avait trait à la possibilité de voler. Il nous interpelle également sur nos propres envolés. Les siens, les nôtres. Dans le récit de cette mort absurde, Kern laisse le lecteur se faire sa propre conviction : suicide déguisé ? geste d’amour éperdu ? coup de folie ? Peu importe finalement, tant la vie imaginée de Franz, tailleur pour dames autrichien débarqué à Paris qui se prend de passion pour l’aviation est réelle. Peu importe, tant ce qui meut cet homme lui est à la fois propre et universel. C’est beau, c’est tendre, c’est l’une des très belles surprises de cette rentrée littéraire.
Un beau vainqueur
Touché. Touché et emballé. Touché, emballé et séduit. Par le roman de François-Henri Désérable, “Le maître et mon vainqueur” qui vient de paraître chez Gallimard. Touché, emballé, et séduit par Vasco et Tina. Par leur amour impossible et flamboyant. Emballé par la façon originale, littéraire et amusante avec laquelle Dérérable raconte leur histoire. Avec l’intelligence simple avec laquelle il saupoudre aussi son récit de Rimbaud, de Verlaine et d’une poésie virevoltante qui scotche le lecteur. Il y a des poèmes magnifiques, et aussi des passages qui restent longtemps en tête. “On s’embrasse, on se quitte à regret, on va se revoir assez vite, on le sait : on ne peut pas faire autrement. On se revoit. On est foutu.” Ou encore : “L’amour est un mécanisme ascendant, on va du sol au ciel et l’on plane, dans un éther impalpable : on dit tomber amoureux, mais c’est un abus de langage.” Une dernière : “Le cœur, comme l’Univers est extensible, et Tina pouvait le prendre, lui, pour amant, sans préjudice de l’amour qu’elle éprouvait pour son mari.”
D’une originalité folle
Vous l’aurez compris. Ça parle d’un amour impossible. Ça parle de la beauté de la rencontre, ça parle de ce qui unit les amoureux, ça parle de toi, de moi, de nous. Ça parle de #poesie, de #rimbaud, de #verlaine et d’un #revolver. C’est émouvant, caustique et mélancolique. C’est un très beau roman. Original et doux. Virevoltant et posé. Plein d’intelligence sur ce que nous sommes. Amoureux ou non. Sur ce que nous sommes aussi et surtout en tant qu’êtres humains aux prises avec la vie. Un dernier extrait pour la route. Un parmi des dizaines soulignés au crayon dans le livre : “Vous, je ne sais pas, mais moi je vois la vie comme deux lignes parallèles : la première représente ce à quoi l’on aspire, ce que l’on voudrait être ; la seconde, ce que l’on est réellement. Et bien sûr elles ne se superposent jamais tout à fait, mais tout l’enjeu est d’en réduire l’écart autant que possible. On ne mesure pas la réussite d’une vie à l’écart entre ces deux lignes, mais à l’effort consenti pour le réduire.” Lisez ce livre. Vous ne le regretterez pas !
“Le maître et mon vainqueur, François-Henri Désérable, Gallimard.
La vie, c’est une folie
“Terre brûlée….” En choisissant le titre d’une chanson populaire pour titrer son nouveau roman, Nicolas Mathieu envoyait déjà un signe aux lecteurs et aux lectrices : ce livre allait les concerner. Et même parler d’eux. Jouer de ce qui meut chacun et chacune d’entre nous : les petits riens et les grands touts. Les grands riens et les petits touts. Dans ce livre qui est peut-être plus réussi encore que “Leurs enfants après eux” qu’Ernest avait repéré avant les jurés du Goncourt 2018 , Nicolas Mathieu met en scène Hélène, partie à Paris pour sortir de son milieu des Vosges. Pour s’extirper et grandir. Elle décide toutefois de revenir avec mari et enfants. Elle est au moment charnière de sa vie. Ne sait plus exactement ce qu’elle doit faire ni même vers quoi elle doit tendre. Il y a aussi Christophe, ancienne gloire locale du hockey. Il est resté au pays. Il gère sa vie comme il peut. Entre son père qui perd un peu la boule et son fils que sa maman d’avec qui il est séparé veut emmener loin. Les deux vont se recroiser. L’un était – adolescent – le fantasme de l’autre. Entre eux, quelque chose va se nouer. Quelque chose de joyeux. Quelque chose qui raconte leurs parcours. Leurs envies, leurs doutes, leurs réussites, leurs peines, leurs peurs. Comme celles d’ailleurs des autres personnages qui peuplent le roman : Lison, Erwann, Charlie etc…
Dans les mots simples choisis par Mathieu, il y a de la justesse. En permanence. Que ce soit quand il décrit un rapport charnel, le sentiment du temps qui passe, la relation entre un père et son fils. La force de Nicolas Mathieu, au-delà de cette capacité chirurgicale à décrire le réel tel qui est à la façon d’un Flaubert, c’est surtout de peindre ce que nous sommes. Humains, trop humains.
Délicate humanité
Car, ce livre n’est pas un livre « social » comme l’ensemble des critiques de ce pays veut nous le faire croire. Ce livre est un livre magnifique sur le temps qui passe. Sur ce qui meut les individus. Sur les chemins de vie. Sur les routes nationales, les autoroutes, et aussi les petits chemins de campagnes escarpées que chacun et chacune prend à un moment donné de sa vie.
C’est un livre qui parle de ce que la philosophe Adèle Van Reeth (lire notre entretien avec elle ici) appelle la vie ordinaire et sur ce qu’elle fait de nous. Et surtout ce que l’on fait avec elle.
C’est un livre sur les rencontres, les départs, les arrivées, les amours, les plaisirs de la chair.
C’est un livre sur les individus dans le monde et sur ce que le monde fait ou non de nous. C’est un livre émouvant, drôle, et un brin nostalgique aussi. C’est un livre qui interpelle aussi par sa construction tel le roulis d’une mer tantôt calme tantôt agitée mais qui dépose le lecteur sur le sable. Sonné et en même temps apaisé. C’est un livre sur la délicate humanité. Tant sur nos failles et nos faiblesses que sur nos réussites et nos forces. C’est un livre tendre. Un livre que l’on referme à regret.
C’est un très beau livre.
Connemara, Nicolas Mathieu, Actes Sud, 22 euros.
Que cela ne se termine jamais
Aimer lire a ceci de magique que cela permet à intervalles réguliers, même lorsque l’on pense que cela n’arrivera plus vraiment d’être surpris, d’être happé, d’être transporté, d’être emporté littéralement par un livre. Par son intrigue, par ses personnages, par la beauté du style, par une ambiance, par un “je ne sais quoi” impalpable qui fera de la lecture en question une lecture dont on se souviendra. Au moment où ce type de livre se retrouve entre les mains du lecteur aguerri et assidu, d’abord une certitude, une sensation de bien être profond, une satisfaction puissante. Ensuite, deux attitudes s’entrechoquent. Lire avidement, ne faire que ça pour continuer d’avancer ce livre dont on sait qu’on l’aime déjà. Et puis, pris de panique devant l’avancement et donc devant la fin qui approche. Ralentir. Humer le livre. Le désirer en le laissant sur une table de chevet ou une table de salon. Et le reprendre, le terminer et être définitivement convaincu : c’était un grand livre. Un livre qui restera en mémoire.
Un texte exceptionnel
Le livre en question s’appelle “Un dernier verre au bar sans nom”, il est signé Don Carpenter. Il se déroule dans les années 50 à Portland aux Etats-Unis, en plein essor de la beat generation. Il y a Jaime et Charlie, il y a Dick Dubonnet, il y a la magnétique Linda, il y a Kenny et Marty, il y a Stan. Ils sont tous un peu artistes, et tous ont envie d’écrire. Leur histoire, évidemment, mais aussi des histoires qui forgent les consciences des lecteurs. Ils s’aiment, se quittent, se retrouvent, se parlent et s’encouragent. S’affrontent aussi. L’ambiance du livre est à la fois mélancolique et joyeuse. On s’y sent bien dès les premières pages. Don Carpenter a ceci de très fort qu’il parvient en trois ou quatre phrases à décrire avec une justesse infinie un sentiment, une situation, une envie. C’est un roman magnifique sur l’écriture, sur l’amitié, sur la création, sur l’amour – ses forces et ses fragilités -, sur les démons, sur les failles et sur la beauté de l’humanité. Un texte exceptionnel que l’on referme une larme à l’œil. Comme lorsque se termine une très belle histoire d’amour qui n’aurait pas dû se terminer. Un roman que l’on referme avec le sentiment de faire désormais partie du club de ceux qui le connaissent mais avec le regret de ne plus avoir à le découvrir.
Décider de se jeter sur les autres romans de Don Carpenter.
“Un dernier verre au bar sans nom”, Don Carpenter, Cambourakis poche. 12 euros