Dans sa chronique mensuelle, Blanche Leridon parle du désir et de sa mise en littérature par l'un des grands écrivains français : Pierre Michon.
Nos passions artistiques et littéraires font de nous des êtres aussi vulnérables qu’inégaux. Prenez le fan d’Amélie Nothomb : il est, de tous les lecteurs idolâtres, parmi les mieux lotis. Sans cesse repu d’ouvrages publiés à cadence régulière, sa dose romanesque annuelle lui est toujours garantie. Camé bienheureux qui s’ignore, le manque lui est aussi inconnu que l’ennui. L’attente entre deux volumes est entrecoupée d’interventions médiatiques, de signatures et d’apparitions en salons et librairies. Privilège suprême, le fan de Mme Nothomb peut être reconnu d’elle, sa mémoire étant à l’image de sa production : infinie. Chez les cinéphiles, il ressemble aux fans de Woody Allen, à ceux de François Ozon, de Virginie Efira ou de Laure Calamy. Noms et visages bien connus, objets de douces addictions jamais frustrées, d’adorations toujours nourries.
Et puis il y a les fans de Pierre Michon. J’expliquais dans une chronique hivernale ma passion pour l’auteur creusois, dont je découvrais le Rimbaud le fils une veille de Noël, et dont je relis chaque année le petit ouvrage depuis. Ce Pierre Michon que le grand public a découvert en 1984 avec Les Vies minuscules, texte immense et humble à la fois, constellation de biographies anonymes qui devait réconcilier la littérature française avec la mémoire et le récit. Mais l’auteur de génie est avare de paroles et de textes. Depuis 2009 et son roman Les Onze, à l'exception de quelques courts écrits qui se comptent sur les doigts d’une main, Michon n’avait rien publié. En 2020 dans un (rare) entretien donné au journal Le Monde, l’auteur confiait à la journaliste Raphaëlle Leyris qu’il achevait l’écriture d’un « roman d’amour de plus de 500 pages », qu’il qualifiait lui-même d’« hypercontemporain », et qu’il devait rendre à son éditeur Gallimard d’ici à la fin de l’été. Dans la communauté des fans de Michon (dont ma sœur et moi constituons le noyau toulousain), l’annonce avait fait grand bruit, suscitant son lot d’espoir et d’hystérie. L’été 2020 passa, puis le suivant, et encore un autre, et jamais le roman tant attendu ne parut. L’on finit presque par l’oublier.
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