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J’ai vu chanter un prix Nobel

Dylan

A Paris pour une série de trois concerts, Bob Dylan, 81 ans, continue d’enthousiasmer ses fans et de réécrire sa légende. Laurent-David Samama est allé voir chanter un prix Nobel de littérature. Récit.

La photo a fait le tour de la twittosphère. On y voit un petit bonhomme emmitouflé sous plusieurs couches de vêtements, le visage triplement caché par un masque, une capuche et un bonnet. Derrière le textile, sous les arcades du Grand Rex, un génie : Bob Dylan. Désormais octogénaire, ce dernier poursuit une œuvre magistrale et complexe, mâtinée de références culturelles empruntées à la pop culture de notre temps comme à la tradition biblique. Une oeuvre entamée à l’orée des années 1960 dans laquelle se dessinent l’Amérique légendaire et les rivages flous d’une Europe de l’Est quittée à la hâte par ses ancêtres du fait des pogroms, le tout mélangé, mixé et réinterprété à la faveur des phases et des époques traversées par Dylan lui-même, en fonction de l’humeur et de l’obsession du moment. Au fil des décennies, il y eut ainsi le folk des débuts, la fascination pour l’Antiquité, Brecht, les auteurs romantiques français, le récit des grands espaces américains, le mythe fécond de la frontière, mille explorations géographiques le menant au Mexique, au Mozambique, à Jérusalem, à Paris ou au jardin d’Eden, un fil rouge foncièrement biblique, une curieuse mais revigorante période born-again, un passage à vide, un moment crooner, des saillies politiques, une multitude de moments de grâce, des chagrins d’amour sans oublier cette libido harassante qui, à la manière d’un Philip Roth ou d’un Léonard Cohen, va traverser son œuvre. En dylanologue averti, Yves Bigot, critique rock et PDG de TV5 Monde résume : « Il existe une chanson de Dylan pour tous les moments de l’existence : les joies, les peines, les émois amoureux, la transcendance, le désespoir, la mort et la vie ».

Cette semaine, Dylan était donc en concert pour trois soirs au Grand Rex et il y avait foule pour venir l’écouter. Une foule compacte, tous âges confondus. Un public éclairé, cosmopolite et concentré puisque dès l’entrée de la salle, on confisquait les smartphones afin d’éviter les enregistrements pirates et autres photos intempestives. Le résultat, magique : comme à la grande époque, des milliers de têtes rivées vers Zimmerman chantant, de sa voix nasillarde caractéristique, dans une langue rare et poétique. Un véritable moment hors du temps. Tout au long du concert, l’attention est religieuse, presque mystique. On se dit alors que Dylan apparait peut-être pour la dernière fois de son existence en France et sur le Vieux continent…