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Cent bonnes raisons d’aller s’emmerder dans l’isoloir

Arnaud Jaegers 5CoOYSxILSw Unsplash

En bon citoyen, Jérémie Peltier vous donne, ce mois-ci, à la façon de l’humoriste Roland Topor et dans la grande tradition de l’humour à la française, toutes les raisons d’aller voter ce dimanche 10 avril, ainsi que le dimanche 24, pour le second tour de la présidentielle. Férocité, causticité et amour sont au menu.

Dimanche se tiendra le premier tour de l’élection présidentielle. Vous aviez peut-être prévu autre chose, et je vous comprends. Vous êtes fatigué, les vacances tardent à arriver, le soleil pointe le bout de son nez. Un certain nombre d’activités auraient légitimement mérité que vous leur consacriez tout votre temps libre. Un match de football entre amis, un petit barbecue avec vos voisins, un petit ciné, une petite brocante ou un petit grand prix de F1 dans le canapé. Cette liste est non exhaustive, c’est vous qui choisissez.

Mais voilà chers amis, il faudra faire une pause pour aller voter quoi que vous fassiez. Car c’est comme ça et pas autrement, ne commencez pas à pinailler. Vous pouvez faire ce que vous voulez, mais il faut aller voter.

D’ailleurs, pourquoi freinez-vous autant ? N’avez-vous pas en tête toutes les belles choses qui se passent lors de cette journée, qui sont autant de bonnes raisons de faire cet effort ?

ToporRoland Topor avait proposé dans un petit livre merveilleux cent bonnes raisons pour se suicider tout de suite [1], manuel dans lequel on retrouvait des choses comme « Pour ne pas payer mes impôts », « Pour ne plus ronfler la nuit », « Parce que c’est une bonne façon de m’arrêter de fumer », « Sous un train : pour prolonger les vacances des autres ». Il donne en outre une raison qui fait écho à la période : « Pour éviter de prendre parti aux élections ».

Oui mais voilà. Il ne s’agit pas ici de vous suicider. Car nous avons besoin de votre voix. Et les morts (sauf en Corse) ne peuvent pas voter jusqu’à preuve du contraire. Sauf évidemment si vous avez bien pensé à faire une procuration avant de passer à l’acte (il doit en effet être possible de voter par procuration même si vous mourrez le jour j par exemple, ce qui est pratique et très sécurisant pour faire vivre la démocratie).

Dans tous les cas, le pays a besoin de vous. A la veille du premier tour, je vous propose donc en quelque sorte « Cent bonnes raisons pour aller s’emmerder dans l’isoloir ».

D’abord, le moment où vous ouvrez (enfin) les professions de foi reçues par la Poste juste avant d’aller voter (pour quand même savoir de quoi l’on parle) est un moment de grâce. Au milieu de la table basse, vous contemplez tous ces visages, tous ces slogans, toutes ces propositions qui vous donnent le sentiment qu’il y a quand même des mecs qui bossent pendant que vous glandez. Cette petite lecture rapide des programmes auxquels vous ne comprenez rien (mais ce n’est pas la question) est un rituel qu’il faut respecter et auquel il faut s’adonner afin d’honorer votre devoir de citoyen. « Il ou elle a l’air sympa » direz-vous sur l’un ; « Alors lui il est vraiment moche » direz-vous sur l’autre. A quoi tient un vote me direz-vous, et vous avez raison.

Arrive ensuite le moment où vous demandez comme d’habitude à votre mari, à votre femme ou à vous-même ce qu’il faut emmener au bureau de vote afin de pouvoir remplir votre devoir : carte d’identité seulement ? Carte d’électeur ? Passeport ? Livret de famille ? Faut-il emmener un crayon et des bulletins ? Puis-je venir avec mon chien ? Comme d’habitude, vous ne savez pas. Alors qu’à chaque élection, c’est la même chose, et à chaque élection, vous avez les mêmes discussions.

“Les baskets, ça fait trop de gauche ?”

Par ailleurs, peut-être faites-vous partie de ces gens qui ne peuvent s’imaginer aller voter sans leur carte d’électeur (qui n’estNathan Dumlao Zi5vRoAP3WY Unsplash pas indispensable pour aller voter on vous le rappelle pour la centième fois) car ne supportant pas ne pas avoir le petit tampon attestant le fait que vous avez bien voté en cas de contrôle de la patrouille. Il faudra alors ouvrir les tiroirs des placards et fouiller dans les boîtes à bordel pour la retrouver, ce qui ne sera pas une mince affaire. Mais vous y tenez à ce petit tampon comme un enfant qui veut un autographe de Zidane.

Il peut y avoir aussi dans ce rituel d’avant vote des réflexions sur votre tenue. Quand bien même l’acte de voter dure à peu près 5 minutes douche comprise, on ne sait jamais, peut-être allez-vous croiser des gens au bureau de vote. Il faut donc être élégant. D’autres réfléchissent à leur tenue de façon stratégique : est-ce que ça fait de droite le petit pull ? Est-ce que ça fait trop de gauche les baskets ? Est-ce que ça fait trop nazie la moustache ?

Car évidemment, le jour du vote, il y a tout un cérémonial qui se met en place, soit pour ne pas vous faire « repérer » par rapport à vos convictions, soit au contraire pour bien montrer à tout le monde pour qui vous allez voter. Tout se joue alors dans les bulletins que vous allez prendre lors de votre arrivée au bureau de vote. Certains, très sérieux, prennent tout avant d’aller se cacher dans l’isoloir. Ce sont des honnêtes gens. D’autres prennent un malin plaisir à montrer qu’ils ne s’intéressent qu’aux bulletins de gauche ou qu’aux bulletins de droite. Ce sont des polissons.

Vous voilà alors dans l’isoloir, petite cahute pas très chaleureuse qui ne sent pas forcément très bon après le passage de moult individus à l’hygiène variée tout au long de la journée (c’est l’une des raisons principales pour laquelle il faut aller voter tôt). Vous jetez un œil dans la poubelle car vous vous prenez pour l’Ifop ou pour un prof à Sciences Po et cela vous permettra de dire à la sortie ce que vous analysez des résultats compte-tenu des bulletins jetés.

Au moment de mettre votre bulletin dans l’enveloppe qui ne colle jamais et qui menace en permanence de s’ouvrir, vous vous dîtes : « Peut-être que mon bulletin va tout changer. Peut-être que c’est ce bulletin qui va faire la bascule. Imaginons qu’il manque une voix à mon candidat pour accéder au second tour. Ça sera grâce à moi ». Vous vous demandez soudainement si c’est déjà arrivé dans l’histoire que l’élection se joue à une voix. Vous commencez à devenir trop sérieux alors il est temps de sortir du confessionnal (nous passons ici sur le comportement de certains individus décidant de dessiner des bonhommes ou des parties intimes sur les bulletins, cela ne nous intéresse pas).

Vous vous rendez vers l’urne. C’est le moment de la « reconnaissance ». On prononce votre nom, et on vous déclame la fameuse Avotephrase que tout le monde attend : « A voté ». Quand bien même vous n’avez jamais compris pourquoi l’individu braillait « A voté » à chaque fois que vous mettiez un bulletin dans l’urne, ce n’est pas grave. Cela vous rassure. Vous avez pour une fois dans l’année le sentiment de faire comme tout le monde. Ce qui n’est pas désagréable. D’ailleurs, quand bien même vous faites le malin, vous serez bien content en rentrant chez vous de prendre une photo de votre carte d’électeur en la postant sur les réseaux sociaux accompagnée de messages tout aussi travaillés que :

« A voté. Et vous ? » ; « Devoir de citoyen fait » ; « Vive la démocratie » ; « Passage aux urnes. La République c’est de remplir son devoir ». Merci Père Castor.

Évidemment, une fois que c’est fait, c’est fait. On n’a plus besoin de vous. Malgré tout, vous irez faire un tour sur les réseaux sociaux, afin de voir les taux d’abstention et de participation, et d’essayer de comprendre avant tout le monde comment cela va se passer. Vous voyez passer une phrase de Coluche : « Pourquoi des mecs élus par nous pour faire ce qu’on veut, au lendemain des élections, font ce qu’ils veulent ». Ça vous fait marrer. Vous vous dites qu’il n’est pas con le mec. Vous faites un copié-collé et vous postez la phrase sur Twitter. Résultat : 3 likes et une insulte. Vous l’envoyez à votre mère par sms qui vous répond « Oui, tous des brigands ».

Il est 20h. Tout le monde semble déjà connaître les résultats, sauf vous, ce qui vous agace un peu. Les résultats tombent. Vous vous apercevez que votre vote n’a servi à rien, votre candidat ayant fait 2 %. Vous êtes un loser. Ce n’est pas grave. Comme lorsque vous ameniez un cadeau tout pourri aux anniversaires de vos amis, l’important encore une fois, c’est de participer. Et vous pourrez toujours mentir en disant que vous avez voté pour le gagnant. Ça fait du bien, les gens vous regardent autrement, et ça restera votre petit secret jusqu’au cimetière.

L’entre-deux tours commence alors. Les pronostics vont bon train. Vous-même commencez à en faire. Les engueulades et les insultes fusent sur les plateaux-télé. Ça ne vous fait pas forcément marrer. Par ailleurs, la journée a été longue. Vous avez fait votre devoir, c’est déjà ça. Vous avez désormais cent bonnes raisons d’aller vous coucher, et personne ne vous en voudra.

[1] Roland Topor, Cent bonnes raisons pour me suicider tout de suite, Wombat, 2018

Toutes les chroniques d’arrêt d’urgence de Jérémie Peltier sont là.

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