Cette semaine, Frédéric Potier a jeté son dévolu sur un roman noir d’une brûlante actualité : “Les Loups”, signé par le journaliste, prix Albert Londres, Benoît Vitkine. Ce récit féroce se déroule en Ukraine et, à travers la fiction, raconte aussi l’affrontement entre la Russie et l’Ukraine, avant l’invasion russe. Puissant.
Qu’on se le dise, un écrivain sommeille toujours sous la plume d’un journaliste. C’est le cas de Benoît Vitkine, spécialiste de la Russie et de l’Europe de l’Est au Monde, couronné par le prestigieux prix Albert Londres en 2019 pour ses enquêtes dans le Donbass, cette région ukrainienne sécessionniste désormais bien connue. En 2020, Benoît Vitkine publiait précisément un premier polar intitulé “Donbass” (Les Arènes), déjà fort remarqué par la critique.
En 2022, il récidive avec “Les loups” publié en février par les éditions Equinox / Les arènes. Vitkine imagine la victoire électorale d’une nouvelle présidente, Olena Hapko, appelée à prendre ses fonctions officiellement un mois plus tard. Cette phase de transition, entre l’élection et l’investiture officielle, inspirée du modèle américain, offre l’occasion de multiples pressions, intrigues et autres rapports de force entre ceux qui dirigent réellement l’Ukraine selon l’auteur, à savoir les oligarques. Ces “loups” qui donnent son titre au livre, se livrent à une guerre sans pitié pour le contrôle du pays, sous le regard malveillant (évidemment) de Vladimir Poutine, qui, lui, n’est pas un personnage de fiction mais bien le Président en exercice de la Russie voisine.
La force du récit de Benoît Vitkine est de nous faire découvrir les ressorts cachés du pouvoir ukrainien mais aussi un tableau historique dramatique depuis la chute de l’URSS jusqu’à aujourd’hui. Il ne tait rien des ravages du capitalisme sauvage et mafieux qui a dépossédé le pays de ses fleurons industriels et économiques. Il raconte dans des pages poignantes la misère des paysans, des ouvriers et des petits retraités auxquels il ne reste plus qu’un peu de dignité. Son récit dénonce aussi avec force la corruption qui gangrène un État en déliquescence. “C’est le problème de la corruption généralisée. Même s’ils voulaient travailler efficacement, les agents publics n’en seraient plus capables” fait-il dire à la nouvelle présidente mesurant par là le fossé qui sépare encore l’Ukraine des normes exigées pour intégrer l’Union Européenne.
“Tout serait plus simple si les Ukrainiens restaient à leur place, celle du petit frère docile et satisfait de son sort.”
Son analyse de la très complexe relation entre l’Ukraine et la Russie mérite aussi une lecture attentive. Petit extrait : “Tout serait plus simple s’ils [les ukrainiens] restaient à leur place, celle du petit frère docile et satisfait de son sort. À vrai dire, dans l’esprit du président russe, l’idée même de peuple ukrainien est une vue de l’esprit. Les Ukrainiens ne sont rien de plus qu’une copie, certes un peu brouillonne, des Russes. Un prototype qui a mal tourné. L’indépendance ukrainienne a été une nouvelle trahison de ce pleutre de Gorbatchev et des Occidentaux. À présent ceux-ci cherchent à attirer l’Ukraine dans leurs filets. À lui, Poutine, de rétablir la balance”. On ne saurait mieux résumer les motifs de l’invasion en cours.
Au final, on dévore ces 314 pages qui dessinent un pays déchiré entre l’aspiration à jouir d’un mode de vie occidental, avec tous ses excès, et la nostalgie d’un monde passé, communiste, qui semblait donner du sens à défaut d’apporter la prospérité et la démocratie. On espère que depuis Moscou Benoît Vitkine pourra nous gratifier prochainement d’un récit des terribles événements qui secouent la partie la plus orientale du continent européen. En attendant, on peut se rabattre sur le documentaire de son frère, Antoine, disponible sur France Télévisions intitulé sobrement “La vengeance de Poutine”.
Toutes les inspirations d’Ernest sont là.