4 min

Lettres à France : Jacques Chirac

Chirac

Si la campagne électorale actuelle vous déprime, alors cette série d’articles de “politique-fiction” imaginée par les auteurs d’Ernest est pour vous. Partant du constat partagé par un grand nombre d’électrices et d’électeurs que la France mérite mieux qu’un débat tournant autour du nombril de l’extrême droite, Ernest a décidé de faire appel aux grands personnages du passé qui éclaire notre présent, voire même notre avenir. La série “Lettres à France” débute avec Jacques Chirac sous la plume de Laurent-David Samama.  A suivre : De Gaulle, Mitterrand, Seguin, Marchais, VGE, et d’autres…

Mes chers compatriotes,

Il n’est pas anodin de revenir d’outre-tombe pour transmettre un message à la nation. Si je le fais aujourd’hui, plutôt que d’observer l’évolution du duel opposant Meisei et Takanosho, les deux sumōtori les plus en vue du moment, c’est pour vous avertir du danger qui nous guette. Si j’osais, je vous dirais que notre maison brûle tandis que nous regardons ailleurs… Vous le savez : toute ma vie, la France, j’ai entrepris de la regarder dans les yeux. Je l’ai sillonné de long en large, du Nord au Sud, de la Corrèze à l’Outre-Mer. J’ai écumé ses villes, ses montagnes, ses fermes et son littoral. J’ai serré tant de mains que mon poignet chauffe encore. Cette France, je vous le dis, est pleine de ressources. Mais il faut également qu’elle se maintienne à son rang naturel, qu’elle se hisse à la hauteur des attentes du monde et de l’image que les peuples se font d’elle. En un mot : quelle soit toujours ce phare dans le monde, cette nation qui s’ouvre aux autres et qui éclaire. Or, la France est confrontée à une situation grave. Ce qui est en cause, c’est son âme, c’est sa cohésion, c’est son rôle dans l’Europe et dans le monde. Les plus fervents de mes partisans se souviendront de l’urgence de 2002, de l’impératif de s’unir franchement, et massivement pour bouter le camp de la peur loin dans ses retranchements. Je me souviens du 21 avril. Et vous aussi, je l’espère. Je me souviens aussi du 5 mai, ce moment de concorde nationale, cet instant de victoire non pas personnelle, non pas partidaire mais pour tous les français, sans distinction d’origine, de genre, de classe sociale, de religion.

Je me rappelle aussi du 23 avril 2002, à Rennes. Nous étions alors dans l’entre-deux tours de tous les dangers et si il n’y avait alors ni attaque sur l’Ukraine, ni Covid, ni péril environnemental, ni Zemmour caracolant dans les enquêtes d’opinion, l’heure était déjà grave. Un Le Pen menaçait.  Les mots d’alors résonnent encore je crois. “La France veut défendre haut et fort l’honneur de la démocratie. Elle veut dire haut et fort que, par-delà toutes les différences entre les Français, par-delà l’opposition des projets entre la droite et la gauche, par-delà le nécessaire débat démocratique entre forces de l’alternance, tous, nous sommes réunis par la passion des droits de l’homme, par l’amour de la République, par l’exigence morale de la tolérance et du respect de l’autre.” Mes chers compatriotes. Vingt ans ont passé depuis 2002. Avons-nous vraiment avancé ? Ou nous serions-nous au contraire aventuré dans une impasse idéologique ?

Mesurons le sens de l’idéal de fraternité. Car si si j’ai bien tiré une leçon de mes décennies passées en politique, à la rencontre des électeurs, c’est l’extrême nécessité de nous serrer les coudes quand le moment l’impose. Faire nation n’est pas un vain mot à l’heure de la montée des périls et du retour des passions tristes. “Tous, nous sommes réunis dans l’appartenance à la Nation française par le refus de l’extrémisme, du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie. Tous, nous refusons les solutions simplistes, brutales, qui débouchent toujours, un jour ou l’autre, sur la violence d’Etat.” J’ajouterais comme je le faisais ce soir de meeting à Rennes, un mot sur l’Europe. Plus que jamais, le processus communautaire s’avère être la condition de notre salut. Pour que la France continue à exister et à prospérer, il faut, je vous le dis, une Union européenne forte. Sinon, nous serons la proie des dictateurs et des autocrates. Sinon, nous serons la cible des fous, des terroristes et des fanatiques. “L’Europe c’est la paix, l’Europe c’est la démocratie, l’Europe c’est la liberté, l’Europe c’est la prospérité.”

“Il faut aimer les Français”

Il est des moments où le combat politique impose de mettre la bassesse et les guerres de chapelle de coté. Je vous le dis avec d’autant plus de certitude que ce jeu là, celui de la division et des luttes fratricides, j’ai pu le jouer au cours de ma carrière politique, face à Chaban, face à Giscard, face à Balladur et jusqu’à Sarkozy. Mais rien de tout cela n’impliquait un péril national, un changement de nature démocratique, une menace de refonte de l’esprit de notre constitution. Je sais néanmoins que la colère est grande. Que le ressentiment envers les élites est immense. Que l’actuel président cristallise parfois une haine qui nous dépasse. “Autant je comprends l’angoisse des Français devant la montée de la violence et de l’insécurité, autant je comprends l’inquiétude devant les excès de la mondialisation et les risques de délocalisations qu’elle entraîne, autant je comprends le désarroi et la colère devant trop d’inaction et d’impuissance, autant je m’oppose avec détermination à ceux qui ne partagent pas l’exigence républicaine et les valeurs de la démocratie. Je m’oppose avec détermination à ceux qui ne respectent pas les valeurs humanistes et la vocation universelle de la France. Je m’oppose avec détermination à ceux qui brandissent la menace de la rue, qui agitent les spectres de la force brute, de l’irrationnel et du mépris.” Finalement, c’est une question de morale. “La République ne transige pas quand il en va de l’essentiel, quand il en va de l’esprit et du cœur de notre pays. La République ne transige pas quand l’âme même du peuple français est en question.” D’aucuns se réclament de mon parti, le RPR, pour semer la division et l’intolérance. D’autres prospèrent sur l’idée de fermer les frontières et d’assécher la solidarité nationale. On peut être de droite et ne pas les écouter. Car pour gouverner, il faut aimer les Français. Tous les Français ! C’est le message que je tenais à vous faire passer alors que vous voterez dans quelques semaines.

Jacques Chirac

Tous les extraits cités entre guillemets sont tirés du discours prononcé par Jacques Chirac, à Rennes le 23 avril 2002, alors qu’il démarre la bataille du 2nd tour face à Jean-Marie Le Pen, après l’élimination de son Premier ministre socialiste d’alors au premier tour, Lionel Jospin. L’intégralité du texte est là. 

Toutes les inspirations sont là.

3 commentaires

Laisser un commentaire