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“Les convois de l’amour”

Ben Mater J8gTPElbQG8 Unsplash

Aux convois de la liberté qui défilent un peu partout en France, Jérémie Peltier préfère les convois de l’amour et pour le prouver il convoque notamment Hervé Le Tellier, mais aussi la Saint-Valentin, la crémation et même certaines inégalités de genre. Jubilatoire !

C’est la Saint-Valentin, un moment important pour le vivre-ensemble comme chacun sait. Un moment où tout s’arrête, où tout se fige, où la vie de millions d’individus dans ce pays peut basculer d’un côté comme de l’autre selon les choix qui seront faits, selon les cadeaux achetés ou non achetés, selon les attitudes adoptées lors de cette journée et de cette soirée.

Il y avait, je ne vous le cache pas, des façons a priori évidentes de tirer le fil de cette chronique sur la Saint-Valentin. Par exemple le journal Libération venait de publier le week-end dernier une longue enquête très fouillée sur le business des crématoriums en France, accusés de s’en mettre plein les poches en revendant notamment les bijoux et les prothèses de nos morts [1].  Il aurait été donc tout à fait normal de s’amuser avec cette matière féconde en prenant le parti que la Saint-Valentin mériterait elle aussi d’être cramée intégralement, sans larmes et sans formol. Ce n’est pas le choix que nous avons fait.

La deuxième possibilité qui nous était offerte pour parler de la Saint-Valentin avec le sérieux que ce moment exige provient d’un fait divers très intéressant relaté par le Huffington Post [2] : en plein rendez-vous Tinder, on apprend qu’une jeune femme au Royaume-Uni est restée coincée entre deux fenêtres pour tenter de récupérer son caca. En effet, la jeune femme, s’étant aperçue avec panique que la chasse d’eau de son amant ne fonctionnait pas, a décidé de retirer le contenu de la cuvette et de le lancer par la fenêtre afin que son rendez-vous Tinder ne découvre pas que les femmes appartenaient à une espèce qui allait parfois faire ses besoins. Problème, la femme en question n’est pas lanceuse de javelot. Ses étrons sont donc venus se logés entre deux panneaux de fenêtre. Elle a alors tenté de les récupérer, mais est restée coincée durant le processus. Elle a dû être secourue par des pompiers, obligés de briser la fenêtre pour la libérer.

« Inégalités de genre aux toilettes »

Cet épisode permet de rappeler entre parenthèses les inégalités de genre face aux toilettes. Selon une enquête de l’Ifop publiée en avril 2021[3], Capture D’écran 2022 02 14 À 14.23.10sachez  que la gêne à l’idée de déféquer dans des situations de non-intimité est ainsi systématiquement plus forte dans la gent féminine (56%) que masculine (42%) : les femmes étant par exemple près deux fois plus nombreuses que les hommes à se dire gênées à l’idée de faire caca sur leur lieu de travail (42% contre 26% des hommes) ou chez des amis (39% contre 25% des hommes). Et cette gêne est particulièrement vivace chez les jeunes femmes de moins de 30 ans (75%, contre 41% des plus de 60 ans). Sur ce point, on notera que si le bruit et l’odeur constituent les principales raisons de leur gêne à aller à la selle pour les deux sexes, les femmes s’avèrent, elles, plus gênées à l’idée qu’on puisse les imaginer aux WC : 63 % des femmes (contre 54 % des hommes) expliquant leur gêne aller aux toilettes par leurs souhaits que personne ne les imagine à la selle.

Bref, fermons la parenthèse. Nous ne tirerons ni la chasse ni ce fil ici. C’est une revue honnête.

Comme la période est grave, et que pour une fois, la Saint-Valentin n’est pas en concurrence avec un match du PSG en Ligue des Champions, prenons le sujet au sérieux.

L’amour sujet le plus intéressant de nos vies

Si vous doutez déjà de l’intérêt de rejoindre votre moitié pour le dîner de ce soir, demandez-vous : pourquoi accorder du crédit à cette journée du 14 février ? La réponse est simple, pour reprendre une idée que développe souvent le philosophe André Compte-Sponville : l’amour est le sujet le plus intéressant de nos vies et de nos sociétés. Et c’est un point fondamental qui justifie que l’on accorde un peu d’attention à la Saint-Valentin. En effet, tout le monde se fout de la campagne présidentielle. Ce n’est pas un sujet qui suscite plus de discussions que ça dans les déjeuners et dîners. On passe vite à autre chose. Il en est de même pour les fameux convois de la liberté, sorte de regroupement de fans de camping-car ayant trouvé un moyen pour se barrer de chez eux le temps d’une semaine afin de ne pas réparer la chaudière de la salle de bains. Une fois qu’on a râlé sur Paris bloqué, on n’a plus grand-chose à dire. Il en est de même pour le Covid, dont on ne veut plus parler.

Mais l’amour ! C’est bien différent. Ça suscite la curiosité, l’intérêt, on ne s’ennuie jamais quand on parle d’amour ! Tout le monde veut donner son avis sur les amours des uns et des autres lorsque vous dînez en famille ou entre amis. Tout le monde a des choses à dire. C’est un sujet beaucoup plus démocratique que la politique. Tout le monde a un avis et un peu d’expérience à partager !

LetellierEt au-delà de l’intérêt supérieur dont est doté l’amour sur tous les autres sujets, l’amour est protégé des polémiques, c’est un sujet sur lequel les guignols qui bavardent ne pourront jamais s’écharper sur les plateaux. En effet, débattez de tout si vous voulez, interrogez-vous sur ce qu’il faudrait ou non supprimer ou juger demain : les voitures, la viande, la gauche, la droite, les primaires, les hommes, les femmes, les animaux, les bobos, les réacs, les indigénistes, la Russie, l’Ukraine, les cancelers et les non cancelers, les gauchos et les fachos, les statues, les clodos, Sarko, les travaux ou Anne Hidalgo. Faîtes si cela vous chante, mais laissez l’amour en dehors de tout ça. Seul sujet intéressant, l’amour nous permet par ailleurs de revenir en permanence à l’essentiel.

Dans un petit livre merveilleux, Je m’attache très facilement [4], Hervé Le Tellier le résume d’une phrase en parlant d’un hôtel : « Un quatre étoiles pour un homme seul, c’est beaucoup moins bien que deux étoiles pour deux ». Et c’est surtout beaucoup plus cher, ce qui fait que l’amour coûte moins cher à l’époque où tout augmente !

 

Retour à l’essentiel, notamment car l’amour est aussi une sécurité pour survivre dans une époque où l’on va manquer d’oxygène du fait du réchauffement climatique. Par conséquent, la seule façon de respirer demain en cas de crise sera d’avoir une bouche à portée de mains afin de l’embrasser pour respirer autre chose que des particules fines. Quitte à courir plusieurs lèvres à la fois si vous le souhaitez pour multiplier vos chances de respirer. C’est ce que n’a pas compris Jonathan Daval malheureusement, en oubliant évidemment qu’il n’y a pas d’amour parfait. Gérer patiemment l’équilibre dans le triangle de l’amour composé de la Passion, de l’Amitié et du Désir comme l’écrit brillamment Francis Wolff [5], demande de l’énergie, de l’effort, un certain doigté en somme. C’est parfois difficile, on le sait. Et pourtant ça marche.

Donc plutôt que de nous emmerder avec vos convois de la liberté à la télé, organisons plutôt des grands convois de l’amour, seul sujet qui intéresse vraiment les Français. Des trucs où les amoureux prendraient des voitures et des motos, rentreraient dans Paris pour lancer des fleurs et pour s’embrasser devant les caméras de BFM TV. On irait de ville en ville en chantant, en s’enlaçant sans se lasser. Ça serait bien plus amusant et bien plus important pour l’avenir du pays. Et surtout bien plus en phase avec ce qui dure et résiste à la modernité siècle après siècle. Je suis bien d’accord que tout était mieux avant. Mais entre nous, l’avantage avec l’amour, c’est que c’est mieux tout le temps. Et pour ceux par exemple qui ne connaissaient pas l’amour la semaine dernière et le connaissent maintenant, ils savent très bien que ce n’était pas mieux avant.

Alors évidemment, pour ce jour si particulier du 14 février, il y aura toujours des gens seuls. Pas de panique, il reste le plombier pour passer la soirée, pour tenter d’avoir une aventure et plus si affinité. Attention simplement : dans un moment où le pouvoir d’achat est la principale préoccupation des Français, il ne vous fera pas de cadeaux, qu’il soit moche ou beau. C’est ce que racontait très bien l’humoriste Jean Charles :

« Le plombier, fort beau garçon, envoie sa facture à la dame. Elle s’écrit : « Quatre heures ! Le malotru, il a tout compté ! »[6].

Allez bonne journée, et amitiés (pardon, amour !) comme dirait Arnaud Montebourg.

[1] https://www.liberation.fr/societe/crematoriums-les-coulisses-dun-macabre-commerce-20220211_2M2MRAHH7VCYXLWX22S3JH643M/

[2] https://www.huffingtonpost.fr/2017/09/07/elle-tente-de-recuperer-son-caca-chez-son-match-tinder-et-ca-se-termine-tres-mal_a_23199911/?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&Echobox=1644594381&fbclid=IwAR3EkPcpqxILG-tKpcYlZeCIFGWu-79OfuvUWezlOqKUOcRSbVT20Ll4shg#xtor=SEC-135

[3] https://www.ifop.com/publication/caca-non-grata-le-poop-shaming-a-lheure-du-covid-une-problematique-de-genre/

[4] Hervé Le Tellier, Je m’attache très facilement, Mille et une nuits, 2007

[5] Francis Wolff, Il n’y a pas d’amour parfait, Fayard, 2016

[6] A retrouver dans Jean-Loup Chiflet, Le bouquin des mots d’esprit, Bouquins, 2021

Toutes les chroniques d’arrêt d’urgence de Jérémie Peltier sont là.

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