L’esthétisme d’une couverture est parfois sublimé par un exercice de typographie particulièrement soigné. La preuve avec « Le cercueil de Job », le nouveau roman de Lance Weller, dont l’audace créative n’a pas laissé Tanguy Leclerc insensible. Un récit aussi puissant que le laisse supposer sa couv’.
On ne soulignera jamais assez l’importance de la typographie dans la constitution d’un livre. Pour peu que l’éditeur décide de jouer avec l’agencement des mots sur la couverture, son impact s’en trouve décuplé. Avec « Le cercueil de Job », Gallmeister offre l’une de ces pépites graphiques qui accrochent instantanément : quatre mots assemblés de telle sorte que l’on n’a pas d’autre choix que de prendre le livre en main pour en connaître le sujet. La police de caractère utilisée ne laisse guère de doute : à première vue, nous sommes dans une ambiance de western. Notre curiosité est renforcée par l’image incrustée dans les lettres du titre. On y devine des flammes, comme si le feu consumait le nom de Job, dont on sait qu’il est un personnage de l’Ancien Testament que Dieu mit à l’épreuve en faisant s’abattre sur lui toute une série de malheurs destinés à ébranler sa foi.
La guerre de Sécession est la blessure inguérissable d’une nation aujourd’hui encore en proie à ses démons.
Un cercueil, des flammes, des calamités, l’Amérique… Le décor est planté. Le roman de Lance Weller nous plonge au cœur de la guerre de Sécession, épisode traumatisant de l’histoire des États-Unis et blessure inguérissable d’une nation aujourd’hui encore en proie à ses démons. Pourtant, à moins d’être particulièrement calé en astronomie, difficile de savoir à quoi fait référence le titre du roman. Le Cercueil de Job est tout simplement l’astérisme formé par les quatre étoiles principales de la constellation du Dauphin, qui prend l’apparence d’un losange.
Au milieu du chaos, il est l’unique point de repère de Bell Hood, jeune esclave en fuite après l’assassinat de son père par son « maître », marquée elle-même au visage par le feu du fer et l’étoile gravée au pic sur une de ses dents. Pour s’orienter, elle s’en remet aux étoiles. « Son père lui avait dit un jour que Dieu avait mis le Cercueil de Job là-haut pas seulement pour indiquer le chemin, mais aussi pour rappeler aux gens qu’ils avaient intérêt à ne pas se montrer impertinent envers lui », écrit Lance Weller.
Bell fuit vers le Nord à travers le Tennessee en compagnie de deux autres compagnons d’infortune, guidée par l’espoir d’une liberté promise par Lincoln aux esclaves qui parviendraient à rejoindre le camp de l’Union. « Tu penses que c’est l’Amérique ici, ou on est encore chez les Sudistes ? ». Cette question hante nos fugitifs, poursuivis par les chasseurs d’esclaves et à la merci des soldats des deux camps, parcourant une terre souillée de feu, de cendres et de sang.
Dans cette fresque historique façonnée de destins croisés apparaît Jeremiah Hoke, ancien soldat confédéré mutilé, ayant déserté l’armée après l’horreur vécue lors de la bataille de Shiloh, l’une des plus meurtrière du conflit. Cette âme perdue entame un parcours d’errance, à la recherche d’une improbable rédemption pour les crimes dont il a été témoin. Bell Hood et lui sont liés par un drame originel commun qui les a marqué à jamais durant leur jeunesse… Tout le talent de Weller est de nous placer dans leurs pas en maintenant le suspense sur l’issue de leur pérégrination.
Ce roman explore l’âme américaine et nous questionne sur ce que signifie être américain
À travers un récit haletant, servi par une écriture intense, Lance Weller dresse le portrait d’un pays bâti sur la violence, hanté par l’esclavage et la ségrégation, où la fragilité de l’union perdure. Il explore l’âme américaine et questionne sur ce que signifie être américain. L’expérience vécue par Bell Hood et ses compagnons leur apprend que s’il y a une division entre Nord et Sud, celle entre noirs et blancs et plus profonde encore. Quelle que soit l’issue de la guerre, elle ne saura répondre à leurs aspirations de liberté. Il leur faudra affronter la cruelle réalité qu’ils ne seront jamais reconnus comme des citoyens ordinaires.
Doté d’un souffle épique saisissant, ce roman fait appel à tous vos sens. Lance Weller excelle tout particulièrement dans la description de la férocité de la guerre. On se surprend à ressentir l’effroi des combats tout comme la peur panique des fuyards au moindre bruit suspect. Indéniablement tragique, “Le cercueil de Job” oscille pourtant en permanence entre ombre et lumière. Comme si Weller ne pouvait se résoudre au dépit face aux atrocités dont sont capables les hommes. L’humanité rayonnante de Bell, ainsi que celle du personnage de Henry Liddell, daguerréotypiste qui affranchit January June – l’un des compagnons de fuite de la jeune fille – capable de saisir la beauté instantanée de la nature au milieu de l’horreur, est la lueur dans la nuit que l’auteur s’évertue à entretenir. On s’y accroche de la première à la dernière page.
Le passage que l’on aimé
Ce paragraphe clôture le récit de bataille de Shiloh (6-7 avril 1862) qui fut à l’époque la plus sanglante de l’histoire américaine. Un carnage qui fit 24 000 victimes en deux jours.
« Ce jour-là, les flammes s’élevaient directement de la terre, ondulaient dans l’herbe, elles avançaient en vague d’un jaune orangé, montant et descendant, sifflant et crépitant. Des choses terribles passèrent inaperçues sur le moment – vision d’horreur, bruits, odeurs obscènes qui ne se manifesteraient que longtemps après, dans des rêves ou des éclairs de réminiscences qui prendraient des allures de rêve et couperaient le souffle de vieux soldats. Des choses amalgamées, fantasmagoriques, sanglantes et si épouvantables que personne ne pourrait croire qu’elles s’étaient véritablement produites, et encore moins qu’on avait pu y survivre. »
Lance Weller, “Le cercueil de Job, éditions Gallmeister.
Toues les couv’ attrapées par Tanguy sont là