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Le “iel” est-il un humanisme ?

Brett Jordan POMpXtcVYHo Unsplash(1)

Faut-il changer la langue pour changer les mentalités ? Cette semaine notre pays a vécu l’une des semaines qui en font – peut-être – l’un des secrets et des charmes. Le Petit Robert a décidé dans son édition en ligne d’intégrer le pronom “iel”. La définition donnée pour ce nouveau pronom est la suivante. “Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre.” Évidemment, cette annonce a créé une polémique dont nous avons désormais également le secret : d’un côté le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer et Brigitte Macron dénonçant la montée inexorable du wokisme et s’insurgeant contre cette écriture inclusive. De l’autre les militants de cette nouvelle forme d’écriture se réjouissant de la langue en évolution et de cette capacité nouvelle de dégenrer le Français, “affreuse langue machiste“.

Au milieu, l’éditorialiste d’un magazine littéraire en ligne. La première pensée qui a surgi cette semaine fut un esprit qui s’évada vers George Orwell et sa “novlangue”. Dans son célèbre roman “1984”, Orwell narre ce pouvoir totalitaire qui retire des mots de la langue pour rétrécir la pensée. Rétrécir la pensée. Et si deux pronoms offraient plus de palette couleur qu’un seul ?

La seconde pensée qui est venue est celle des chroniques d’Alain Rey, rédacteur en chef du Robert et célèbre linguiste qui, pendant de longues années chaque matin sur France Inter nous parlait des mots, de leurs sens et de leurs histoires. Disparu il y a un an quasiment jour pour jour, Alain Rey avait une vision moderne et en même temps précise du sens et de la profondeur d’une langue. Que disait-il sur ces questions ? Il s’insurgeait contre l’écriture inclusive au motif, selon lui, qu’elle “confondait les signes et les choses”. Il préférait l’emploi systématique du masculin et du féminin plutôt que la contraction des deux. Il et elle plutôt que “iel“, celles et ceux plutôt que “celleux”, en somme. Je vous vois derrière vos écrans, ou dans votre lit. Je sais bien que vous vous moquez en vous disant, “ok très bien, mais au fond, il en pense quoi de iel ?

Patience, nous y venons. Et d’ailleurs doit-on donner une réponse ? D’aucuns font aussi état du fait que ce pronom convient juste à désigner une personne qui ne se sent ni homme, ni femme. Mouais. Cela est vrai, mais n’est-ce pas un peu sous-estimer la portée d’une telle intégration d’un genre neutre dans notre langue ? Ainsi pour gagner l’égalité il nous faudrait nier les différences ? Loin d’une visions universaliste du monde, non ?

La troisième pensée qui est venue nourrir notre esprit cette semaine est cette idée selon laquelle créer un mot de toutes pièces, sans un ancrage, sans une longue histoire et sans une appropriation ne peut pas avoir de sens. C’est la fameuse construction interne inhérente à chaque langue qu’a analysé le linguiste Ferdinand de Saussure. Ainsi, difficile de créer ex-abrupto un usage nouveau et donc une mentalité nouvelle. Argument de poids.

La quatrième pensée qui nous a gagné est celle d’une langue d’une richesse folle que nous cherchons à modifier alors que nous n’en utilisons pas toutes les facettes. Pensée tournée vers ces amis québecois qui pour ne pas dire “spoiler” ont inventé le génial “divulgâcher”.

La cinquième et dernière pensée que nous voulions partager ce matin avec vous toutes et tous est la suivante. Et si au lieu de réinventer notre langue nous apprenions à l’habiter à nouveau ? À donner aux mots leurs sens profonds. À les choisir de façon ciselée et précise.  Un peu comme dans une chanson d’Orelsan où en peu de mots, avec un langage aiguisé, est dressé un portrait sans concession, fort, réjouissant et déprimant à la fois de notre pays. Comme si langue aimée pouvait nous servir d’outil pour faire un constat, et pourquoi pas, rêvons un peu, trouver des horizons.

Bon dimanche,

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